Lefèvre, G., Gibier, J.B., Bongiovanni, A., Lhermitte, L., Rossignol, J., Anglo, E., Dendooven, A., Dubois, R., Terriou, L., Launay, D., Barete, S., Gourguechon, C., Dezoteux, F., Staumont, D., Copin, M.C., Damaj, G., Tardivel, M., Molina, T., and Hermine, O.
Les interactions entre le polynucléaire éosinophile et le mastocyte ont été décrites dans des maladies inflammatoires et/ou allergiques variées (Galdiero et al., 2017). L'éosinophilie médullaire est une caractéristique classique de la biopsie ostéomédullaire (BOM) de la mastocytose systémique, mais le rôle potentiel des éosinophiles n'a jamais été exploré. Nous avons analysé 61 BOM de patients avec mastocytoses indolentes (n = 33), « smouldering » (n = 4), ou avancées (n = 24), ou contrôles (n = 8). Des immunomarquages anti-EPX (éosinophiles), anti-c-KIT (mastocytes) ou des doubles immunomarquages EPX/c-KIT ont été réalisés en immunohistochimie (IHC) et en immunofluorescence (IF) avec microscopie confocale. Les surfaces d'immunomarquages c-KIT ou EPX sont exprimées en pourcentages par rapport aux surfaces cellulaires non marquées : par exemple, la surface d'immunomarquage EPX est calculée comme la surface des infiltrats cellulaires marqués EPX/(somme des surfaces EPX+ et des surfaces non marquées EPX). L'expression de marqueurs de surface par les mastocytes médullaires a été analysée en cytométrie en flux (CMF), et des images en IF ont été utilisées pour conforter l'analyse de l'expression du récepteur de l'IL-5. L'expression de marqueurs de surface par les éosinophiles sanguins a été analysée en CMF, et des analyses moléculaires par NGS ont été réalisées sur éosinophiles triés. En utilisant une analyse automatisée non supervisée des immunomarquages sur lames entières, nous avons observé une surface d'immunomarquage EPX, représentant à la fois les infiltrats d'éosinophiles intacts et les éosinophiles dégranulés, plus importante dans les mastocytoses non avancées (ISM + SSM) (médiane [IQR] : 37 % [19 ; 61]) que dans les contrôles (7 % [2,25 ; 17,25], p = 0,0003) et mastocytoses avancées (17 % [9,25 ; 36,5], p = 0,0014). Dans les mastocytoses non avancées, nous avons observé des corrélations positives entre les taux de tryptase sérique et le pourcentage d'éosinophiles au myélogramme (coefficient r de Spearman de 0,38, p = 0,038), le pourcentage d'éosinophiles sur les BOM (r 0,45, p = 0 0,007), la surface d'immunomarquage EPX (r 0,37, p = 0,035) et le niveau de dégranulation des éosinophiles (r 0,39, p = 0,023). Le nombre d'éosinophiles sur les BOM était également corrélé avec le nombre de mastocytes (r 0,47, p = 0,006) et la surface d'immunomarquage c-KIT sur les BOM (r 0,49, p = 0,003). Aucun de ces résultats n'était observé dans les mastocytoses avancées. Dans les mastocytoses non avancées, nous avons observé en IHC et en IF que les infiltrats d'éosinophiles et de larges plages de dégranulation étaient présents au sein et autour des infiltrats mastocytaires. En CMF, les mastocytes médullaires exprimaient à leur surface les récepteurs des interleukines (IL) 5 (confirmé en IF), IL-9 et IL-3, et les récepteurs de chimiokines PGD2, éotaxines et TARC, qui pourraient contribuer aux interactions réciproques avec les éosinophiles. De plus, les données de NGS suggèrent que les hyperéosinophilies sanguines ne soient pas d'origine clonale dans la mastocytoses non avancées : chez 4 patients avec mastocytose indolente et hyperéosinophilie > 1500/mm3, 1 patiente n'avait pas de mutation c-KIT, 3 patients étaient mutés D816 V, et la fréquence allélique était dans ce cas < 5 % dans les éosinophiles triés, sans autre mutation sur-représentée dans les éosinophiles par rapport à l'ADN médullaire total. Enfin, les éosinophiles sanguins analysés en CMF ont un profil d'activation caractérisé par une augmentation des intégrines CD44 et CD62L, et de CD137/4-1BB. Les nombreux médiateurs qui peuvent activer et/ou attirer les 2 cellules pourraient expliquer ces colocalisations et les corrélations observées entre des paramètres liés au mastocyte (tryptase sérique, nombre de mastocytes...) et à l'éosinophile (nombre de cellules, niveau de dégranulation...). Une efficacité potentielle des anti-IL-5 dans la mastocytose systémique indolente et le syndrome d'activation mastocytaire est d'ailleurs suggérée (De Wilde et al., 2016 ;Guillet et al., 2021). Nos données, confrontées aux propriétés connues des éosinophiles et des mastocytes, suggèrent que les deux populations cellulaires pourraient interagir dans les mastocytoses non avancées. Ainsi, les éosinophiles pourraient contribuer à la production de tryptase par les mastocytes et contribuer aux manifestations cliniques liées à l'activation mastocytaire. Des essais cliniques évaluant le bénéfice et la tolérance des anticorps monoclonaux anti-IL-5 ou anti-IL-5R semblent à envisager dans les mastocytoses non avancées. [ABSTRACT FROM AUTHOR]