La Révolution tranquille est perçue dans la conscience historique collective comme le moment de passage du Canada français traditionnel au Québec moderne, attestant ainsi d'une rupture entre deux visions du monde. Cette interprétation de la Révolution tranquille comme acte fondateur est au coeur des débats historiographiques depuis les années soixante-dix. Nous cherchons pour notre part à nous y situer en faisant porter notre thèse sur les deux décennies, entre 1950 et 1968. Notre hypothèse est que les années cinquante d'une part et les années soixante d'autres part se caractérisent au niveau des représentations sociétales par deux visions du monde, plus précisément deux paradigmes distincts : le paradigme du destin empêché et le paradigme du destin émancipé. Nous posons comme corollaire à cette hypothèse qu’il existe une dimension matricielle unissant ces deux paradigmes, attestant ainsi d'une certaine continuité discursive et d'une trame continue dans la représentation que la société québécoise a d'elle-même. Nous avons dépouillé des revues intellectuelles de la période en considérant que malgré leur faible diffusion, elles peuvent être une source adéquate nous permettant de cerner le discours social anonyme et sa structure. En analysant ces revues (Cité libre, Laurentie, L 'Action nationale, Maintenant, Liberté et Parti pris), nous leur avons posé quatre questions qui sont autant d'objets d'adhésion des paradigmes: 1. comment désignent-elles le Québec comme société globale? 2. quelle est la nature des rapports de force structurant cette société? 3. quel est leur rapport à l'histoire? et 4.quels projets de société proposent-elles? Plusieurs idéologies animent les revues, qui réagissent donc différemment à chaque situation, mais certaines régularités discursives nous ont permis de caractériser les deux périodes. Le premier paradigme, correspondant à la décennie 1950- 1960, a été étudié à travers Cité libre et Laurentie. Deux revues qu'a priori tout oppose, mais qui