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De la même façon que l’histoire est écrite par les vainqueurs, on peut considérer que les dominants s’approprient le récit de leurs succès. Commençant par rassembler une poignée d’enseignants et d’élèves dans la maison individuelle d’un pédagogue suisse en 1920, des fonctionnaires internationaux sont parvenus à créer une école sur mesure pour leurs enfants, puis à en exporter le modèle, mobilisant ainsi un réseau pédagogique, financier, social et symbolique à l’échelle euro-américaine. Dans l...

Les fonctionnaires internationaux ont surtout fait l’objet de travaux de droit international et de science politique. Leur histoire a longtemps été le quasi-monopole des agents, individus et institutions appartenant à l’univers particulier des organisations internationales. Récemment, une historiographie à vocation sociohistorique s’est développée, ces organisations étant l’un des objets privilégiés du tournant « global » en sciences sociales depuis une vingtaine d’années. L’autonomie des age...

Au chapitre précédent, nous avons reconstruit la lutte des hommes nantis en capital social pour faire reconnaître le baccalauréat international auprès de différentes universités et États. En 2020, plus de 5 284 écoles situées dans 158 pays étaient membres de l’OBI. Outre les organisations gouvernementales internationales telles que l’OCDE et la Banque mondiale, les fournisseurs de données sur les élèves à l’échelle multicontinentale sont rares. Le système d’information du baccalauréat interna...

Retracer la genèse sociale d’une éducation dite internationale permet de déconstruire le mythe des parents-fondateurs. À Genève, en 1924, la thèse du besoin sert à justifier la création d’une école spéciale pour enfants de fonctionnaires internationaux alors que d’autres options pédagogiques existent. Étudier les trajectoires a fait apparaître la création de l’Écolint et de l’Unis comme un travail de construction sociale des identités. Leur prise de conscience en tant que groupe social spécif...

Dans la deuxième partie de ce livre, notre recherche contribue à la sociologie des organisations internationales par un angle inédit : l’éducation. L’École internationale de Genève (l’Écolint) fondée en 1924 et l’École internationale des Nations unies (l’Unis) créée en 1947 sont essentielles pour construire l’espace des IB schools puisqu’elles en sont à l’origine. Étudier ces deux configurations de l’espace est pertinent pour appréhender la façon dont se sont forgées les institutions qui lui ...

Comment intériorise-t-on des normes et des valeurs qui nous sont extérieures ? Comment des processus sociohistoriques sont-ils incarnés par des individus et des institutions ? Posant ces questions fondamentales de la sociologie à un terrain difficile d’accès et des archives inédites, ce livre nous rappelle que l’objet sociologique est conquis plutôt que donné et inséparable de la reconstruction de son histoire. L’auteure y interroge l’internationalisme politique à travers le prisme de l’éducation. Comment le qualificatif « international », qui désignait depuis le milieu du xixe siècle les relations entre des États-nations, est-il venu à désigner dans l’entre-deux guerres une « mentalité » spécifique et l’intériorité même de certains individus ainsi symboliquement séparés de tous les autres ? Comment s’est construite la légitimité des écoles dites internationales ? Comment expliquer leur élitisme ? L’auteure répond à ces questions à partir du cas du baccalauréat international, diplôme privé de fin d’études secondaires chapeauté par une organisation à but non lucratif. C’est en examinant la construction sociohistorique des normes unifiant des lycées à l’échelle intercontinentale, au-delà de la diversité prônée, qu’elle offre des pistes pour expliquer leurs configurations actuelles. Ce livre offre une analyse inédite de ce que veut dire « être international » aujourd’hui.

Parmi les écoles membres de l’Organisation du baccalauréat international (OBI), l’Écolint se veut aujourd’hui la plus légitime en matière de transmission d’un « esprit international » (international mindedness). Dès sa fondation en 1924, c’est ainsi qu’elle se distingue des autres écoles d’élite implantées en Suisse qui captent une clientèle internationale : elle revendique une identité internationale, l’érigeant en valeur morale, par référence à l’idéologie politique de la SDN. Suivant l’ouv...

Mettre en place une méthodologie pour étudier l’internationale élitiste dans le domaine de l’éducation n’a pas été chose aisée parce que celle-ci monopolise la production du savoir sur les institutions qu’elle crée et dirige. Ce savoir spécifique, il a fallu l’intégrer dans l’objet, sans le reprendre sous couvert d’analyse sociologique. Comment se prémunir d’intégrer tels quels des mythes et des discours officiels des institutions qu’étudie le sociologue ? Il nous a fallu interroger en profon...

« La logique spécifique du monde social consiste précisément en cela que les représentations de la réalité font objet de luttes pour la définition de la “réalité”. » Le 18 décembre 2006, je poussais pour la deuxième fois la porte de la Salle XVII au Palais des Nations à Genève. La simulation de l’Assemblée générale des étudiants allait commencer un quart d’heure plus tard. Des écriteaux soigneusement placés sur les tables ordonnaient les sièges des délégués selon le nom des États membres : Af...

À l’instar des fondations et organisations non gouvernementales dans d’autres domaines de la vie sociale, l’OBI se présente comme indépendante et libre de tout champ politique ou idéologique, se dotant ainsi d’une image de contre-pouvoir. Se présentant comme apolitiques et indépendants, les acteurs non étatiques ne sont pas exempts des luttes symboliques pour la définition de l’identité ethnique, régionale ou nationale qui permettent « de faire et de défaire les groupes ». S’ils ne sont pas c...

Après avoir dégagé les oppositions structurales grâce à l’ACM, nous nous intéressons désormais à deux configurations spécifiques, deux focales, qui permettent d’approfondir par l’enquête qualitative les dynamiques de l’économie des IB schools. L’Écolint et l’Unis se distinguent de toutes les autres par leur proximité avec l’ONU et leur revendication d’être au service d’une « communauté internationale ». Ces écoles ont un recrutement international, mettant en avant la diversité de pays représe...

Depuis les années 1960, les systèmes d’enseignement nationaux connaissent une forte croissance d’effectifs, un recrutement élargi dans l’enseignement secondaire et un allongement des études. Apparue dès le début du xxe siècle, la notion de « démocratisation des études » comporte une forte charge idéologique et fait l’objet de débats qui atteignent leur apogée dans les années 1960. Les tenants de la « démocratisation » sont partisans du principe de l’« égalité des chances » alors que ses détra...

La période allant de 1970 à nos jours se caractérise par des luttes pour faire reconnaître le diplôme du baccalauréat international auprès de gouvernements ainsi que sur le marché mondial de l’enseignement supérieur. S’est opéré tout un travail de construction de la valeur du nouveau diplôme sur ce marché : identifier les écoles susceptibles d’avoir des élèves qui pourraient le choisir, « convaincre » les parents de sa valeur et les universités de le reconnaître. Si le BI ne dépend financière...

Proposant une sociologie de l’internationalisme ainsi que de sa mise en pratique, notre ouvrage est organisé autour de l’étude de trois moments constitutifs de l’émergence d’un espace d’activité pédagogique à l’échelle mondiale, à partir de trois institutions à vocation internationale : deux « écoles d’élite » fondées respectivement à Genève et à New York en annexe à la SDN et à l’ONU et le diplôme du baccalauréat international. Ces institutions interétatiques se donnent comme but la « paix »...

Si la façon de se distinguer varie à travers le temps et l’espace, la question est de savoir pourquoi et comment les « élites » se distinguent, entraînant dans le cas présent un ensemble d’autres questions : qu’est-ce qu’être international ? Comment inculque-t-on un « esprit international » ou « mondial » ? En quoi les programmes de littérature et d’histoire mondiale se distinguent-ils des programmes dits nationaux ? Quelles en sont les schèmes de vision et de division du monde, les catégoris...

À travers le prisme de l’éducation, ce livre contribue à la question : qu’est-ce être international aujourd’hui ? Il n’est pas rare d’entendre dire de quelqu’un qu’il est international ou de désigner un groupe d’individus comme des « internationaux ». À la fin des années 1990, Anne-Catherine Wagner soulignait qu’en France cette expression distinguait une « immigration dorée » – celle des cadres supérieurs – de celle, moins appréciée, de toutes les autres catégories sociales. Alors que les uns...

Dans ce chapitre, nous employons la première personne du singulier lorsque cela touche à la biographie de l’auteur ou au récit ethnographique. En revenant enquêter à l’Écolint, j’avais constaté que, si mon lycée était exempt de friction entre les classes sociales, il n’était pas pour autant libre de hiérarchies internes. Agissant comme les premiers marqueurs de l’identité, les langues – et surtout les nationalités – sont souvent à l’origine de ces hiérarchies. Les nationalités sont enregistré...

Supplemental Material, sj-pdf-1-eth-10.1177_14661381221082909 for Becoming ‘international’: Transgressing national identity and everyday nationalism as a ritual for class identification by Leonora Dugonjic-Rodwin in Ethnography

Supplemental Material, sj-pdf-1-eth-10.1177_14661381221082909 for Becoming ‘international’: Transgressing national identity and everyday nationalism as a ritual for class identification by Leonora Dugonjic-Rodwin in Ethnography

Dans ce livre, l’historien de l’enseignement supérieur Roger L. Geiger, professeur à l’Université d’État de Pennsylvanie, retrace l’évolution du système d’enseignement supérieur américain sur la longue durée. Il couvre en un seul volume la période allant de la fondation de Harvard — la première institution habilitée à décerner des diplômes en 1636 — à la standardisation des universités à la veille de la Seconde Guerre mondiale, en passant par leur diversification régionale dans les années pré...

Comment un substantif désignant les unions et associations politiques au XIXe siècle devient un qualificatif associé à l'individu décrivant son intériorité ? Contribuant à une sociologie historique de l'internationalisme politique sous l'angle de sa mise en pratique pédagogique, cette thèse explore le paradoxe de l'affirmation d'une identité « internationale » par la représentation d'une nationalité dans le sous-champ des IB Schools, un espace mondial d'enseignement secondaire construit au moyen de l'analyse de correspondances multiples. La sociogenèse du sous-champ permet de décrire la construction d'une offre pédagogique, inspirée de la doctrine internationaliste de la Société des Nations (1924-1930 et 1945-1947), qui se concrétise dans la création d'un diplôme international de fin d'études secondaires(1968), ayant pour enjeu l'unification du champ mondial de la formation des dirigeants, notamment par un programme de littérature et d'histoire « mondiales ». Produit d'une Internationale élitiste et fondé sur la croyance que former des élites à une « mentalité internationale » rendrait le monde « meilleur », le baccalauréat international est aujourd'hui dispensé dans plus de 3000 écoles secondaires et se présente comme une alternative aux programmes « nationaux » pour l'accès à l'enseignement supérieur, défiant ainsi ce monopole d'État. C'est finalement par un internationalisme politique – fondé sur une conception essentialiste de la nation et incarné dans un espace d'activité pédagogique – que cette Internationale a contribué dans une logique de distinction sociale, à unifier différentes fractions de classes dominantes de tous pays., This thesis contributes to the historical sociology of political internationalism through a study of educational institutions. Drawing on the method of multiple correspondence analysis, it explores the paradox of affirming an “international” identity through an essentialist conception of the nation as embodied in the sub-field of IB Schools, a global space of secondary education. The socio-genesis of this sub-field focuses on the construction of an educational curriculum inspired by the internationalist doctrine of the League of Nations (1924-1930 and 1945-1947), which led to an international secondary diploma, the International Baccalaureate (1968). The founders of this private diploma sought to unify a global space for the training of leaders, through a preparatory program for higher education, notably World Literature and World History. Created by an elitist international and founded on the belief that educating elites along the lines of an “international mentality” would make a “better” world, this diploma is provided today in over 3000 secondary schools and 124 countries and presented as an alternative to “national” programs, thereby challenging State monopolies.