Comparer le Roman de la Rose et une nouvelle de Hofmannsthal est non seulement incongru, mais encore, en principe, de mauvaise methode. Il est en effet improbable que l'ecrivain autrichien, malgre sa formation de romaniste, ait lu le roman medieval, dont il n'existait a son epoque aucune traduction, ni en francais moderne ni, a ma connaissance, en allemand. La petite demons tration qui suit n'a donc nullement pour but de faire apparaitre de l'un a l'autre la moindre influence. Mais, en permettant de verifier et dans les meilleurs des cas d'interpreter les constantes de l'imaginaire, la comparaison avec d'autres epoques et d'autres civilisations peut procurer au medieviste une sorte de securite; elle confirme en effet parfois la vraisemblance de ses hypotheses touchant un univers dont les formes et les mentalites different trop de ce que nous connaissons pour que nous soyons jamais surs de le comprendre vraiment. Inversement, ce qui pourrait passer de la part de Hofmannsthal pour un trait d'esthetisme et presque une boutade litteraire apparait soudain comme beaucoup plus profond et beaucoup plus troublant, des lors que l'on constate que la meme fascination s'etait deja exercee pres de sept siecles plus tot sur des poetes qui n'ont au demeurant rien de commun avec lui. On sait que le Roman de la Rose, poeme de plus de vingt mille vers, qui raconte, sous la forme d'un songe allegorique, la conquete par le narrateur de la rose qui represente la jeune fille aimee, a ete commence vers 1225 par Guillaume de Lorris, qui l'a laisse inacheve au bout de quatre mille vers, et acheve vers 1270 par Jean de Meun. Le narrateur reve qu'il entre dans un verger sur lequel regne Amour entoure des vertus dont la pratique lui est favorable. Dans la fontaine ou jadis se noya Narcisse, il voit le reflet d'un buisson de roses, s'en approche, a le regard attire par un bouton de rose particulierement charmant. A ce moment, Amour lui decoche une fleche qui