Dans cette contribution nous abordons un problème qui intéresse actuellement tout un groupe de chercheurs dans plusieurs pays européens et aux États-Unis. Dans le cadre d’une étude des systèmes d’éducation considérés comme jouant un rôle principal dans la reproduction sociale pendant la seconde moitié du XIXe siècle, ce groupe étudie plus particulièrement le phénomène du renforcement et de la consolidation de la place des études humanistes dans les programmes scolaires du secondaire dans trois pays en voie d’industrialisation, c’est-à-dire l’Angleterre, la France et la Prusse. Ce phénomène est d’autant plus intéressant qu’il semble se produire indépendamment du degré de contrôle gouvernemental sur le système scolaire. Mais notre communication traite principalement de l’Angleterre, de 1867 à 1897. Elle tente de démontrer que le processus que nous appelons la systématisation du secondaire, a produit comme résultat inévitable, dans un contexte social et historique donné, le renforcement du statut des études humanistes. En employant le terme gouvernemental dans le domaine du secondaire, nous parlons d’une hiérarchisation des établissements du secondaire établie selon des critères de succès exigés par la reproduction sociale. Nous pouvons distinguer deux groupes d’établissements secondaires à l’intérieur de cette hiérarchie, ceux que j’appelle les établissements en voie d’ascension et les établissements descendants. Les ascendants répondaient aux exigences de la reproduction sociale et de la demande de mobilité sociale et assuraient le succès d’un certain nombre de leurs élèves au concours d’entrée à Oxford ou à Cambridge, et dans d’autres importants concours. Tous les établissements « ascendants » enseignaient le latin et le grec. Les établissements « descendants », en revanche, avaient des programmes plutôt scientifiques et n’enseignaient que le latin. Leur popularité auprès de la clientèle (les parents) a diminué pendant toute cette période, tandis que la demande pour les établissements « ascendants » a continué de croître. Les établissements secondaires qui perdaient leur clientèle et aspiraient à rejoindre les établissements à succès, faisaient toutefois des tentatives pour abandonner les programmes scolaires scientifiques et introduire l’enseignement du grec. Quand on considère cette systématisation comme une hiérarchisation informelle, il apparaît donc que la nécessité des programmes humanistes était imposée à toutes les écoles secondaires non par décret législatif mais par l’existence même de ce que je nomme « defining institutions », c’est-à-dire un groupe d’établissements qui s’était acquis un rôle éminent de légitimation culturelle et sociale et dont les programmes traditionnels s’imposaient à toutes les autres institutions de la hiérarchie, contraintes à faire concurrence aux établissements « définissants » sur le même marché de la reproduction sociale. En Angleterre, ces defining institutions auxquelles toute autre institution était obligée de se conformer, étaient constituées par les plus importantes « public schools ». Leurs programmes, leur organisation (sport, internat, culte en chappelle, vêtements uniformes) ont été imités par les autres établissements, jusqu’aux plus modestes, sans que ces derniers aient jamais pu atteindre le statut des « établissements définissants ». En conclusion, le renforcement du statut des études humanistes dans les établissements secondaires pendant la période 1867-1897 en Angleterre doit être compris comme le résultat inévitable d’un processus de systématisation au cours duquel un certain type d’école (la public school), dont les programmes étaient basés sur le latin et le grec, avait brillamment réussi l’insertion de ses élèves dans les plus hauts rangs du gouvernement et de l’administration. Ce phénomène apparaît moins étonnant lorsqu’on considère que cette réussite était due au fait que les concours pour ces postes avaient été élaborés par des anciens élèves des public schools et reflétaient toutes les valeurs des public schools. Néanmoins c’est précisément ce rapport école-postes, et le marché scolaire qu’il a créé, qui a déterminé l’évolution de tout le secteur secondaire en Angleterre à partir de 1870 environ.