Résumé Objectifs Il s’agit dans ce texte d’interroger les significations et fonctions inconscientes de l’étiologie « enfant-sorcier » invoquée par certaines familles originaires d’Afrique sub-saharienne (et plus précisément ici bamiléké) et ses possibles liens avec une dynamique familiale incestuelle. Nous avons donc souhaité montrer les points de passage possibles entre ces concepts relevant de registres différents, à partir d’une situation clinique singulière qui, toutefois, ne constitue qu’une des déclinaisons possibles de ce lien entre enfant-sorcier et incestuel. À partir de cette problématique spécifique, il s’agit aussi de montrer l’articulation permanente qui se fait entre psyché et culture et l’éclairage que chacune apporte à l’autre ; cette dimension nous paraissant d’une importance majeure pour la réflexion du clinicien, sa compréhension plus fine de la clinique et donc pour le travail psychothérapique qu’il peut mener avec ces familles. Méthode Afin d’explorer la potentialité de la représentation « enfant-sorcier » à mettre en mots et en images certaines histoires marquées par un climat incestuel, sans mots pour le dire, nous avons cherché à faire apparaître la présence de fantasmes inconscients communs à ces deux entités, clinique et anthropologique. D’autre part, à partir d’une situation clinique principale, nous avons voulu montrer comment ces deux registres différents peuvent se nouer, voire se recouvrir. L’histoire de Léo et de sa mère nous est en effet apparue comme la plus à même de montrer le processus de métaphorisation tenté par le sujet. Étudier ces deux plans nous a ainsi permis de dégager quelques hypothèses sur le recours à cette étiologie singulière. Résultats On constate que dans certaines situations la référence à l’enfant-sorcier s’impose comme tentative de mettre en mots un vécu incestuel fait de confusions multiples. On remarque toutefois que l’enfant ainsi désigné de sorcier n’est pas forcément le sujet incestualisé. Au contraire, on note que tous deux appartiennent souvent à deux générations différentes. L’appel à cette référence culturelle vient alors permettre une mise en mots d’un vécu irreprésenté et relève d’une tentative de traitement psychique. Il faut toutefois souligner que ce processus de traduction-figuration échoue souvent, à moins que ne soient accueillies par un autre les diverses langues par lesquelles il s’exprime. Sans cela, la confusion dont le sujet cherche à se défaire ne fait que redoubler. L’étude attentive de ces familles montre ainsi que leur rapport à leur groupe d’origine, les bamiléké, reflète également leur fonctionnement pathologique puisqu’à une structure habituellement patrilinéaire, s’était substituée une organisation familiale centrée sur le refus de l’altérité, et mettant au cœur de la filiation la seule relation mère/fille, prenant ainsi le masque de la matrilinéarité. Discussion Au travers de ces différents éléments, nous sommes amenés à penser les articulations qui se font entre psyché et culture. On voit ainsi l’importance d’entendre le sujet dans la multiplicité et la complexité de ses composantes et combien la compréhension de situations psychopathologiques peut s’enrichir d’une attention portée à l’anthropologie. Il s’agit donc de ne pas réduire l’homme ni à son fonctionnement inconscient, ni à sa culture. C’est aussi ce qui permet de saisir que parfois la position d’un sujet vis-à-vis de son groupe est un indice d’un fonctionnement familial pathologique. Conclusion En premier lieu, ce travail montre l’impossibilité à nommer un fonctionnement familial incestuel et la confusion qu’il entraîne. Le recours à l’étiologie d’enfant-sorcier apparaît ici comme une métaphore de ce fonctionnement, de par les fantasmes inconscients équivalents qui sous-tendent ces deux dynamiques. Toutefois, seule l’articulation de ces deux registres, culture et psyché, dans un travail de mise en sens permet à ces sujets de s’engager dans un travail d’élaboration. C’est alors que s’opère par ce travail de métaphorisation un processus de traduction, de figuration et d’individuation . Aims This paper sets out to explore the unconscious meanings and functions of the “witch-child” aetiology appearing in the discourse of families from sub-Saharan Africa (in the present instance Bamileke), and its possible links with an “incestuel” (as opposed to incestuous) family dynamic. We have sought to show the possible points of transition between concepts that belong to different resisters, using a singular clinical situation which is nevertheless just one of the possible manifestations of the link between the witch-child and an “incestuel” family climate. From this particular issue, we also seek to show the permanent articulation between psyche and culture, and the way each casts light on the other. This dimension appeared to us to be particularly important for the reflection of the clinician, for a finer understanding of the clinical setting, and thus for the psychotherapeutic process enacted with these families. Method In order to explore the potential of the “witch-child” representation to put certain “unspeakable” histories occurring in an “incestuel” climate into words and images, we looked for the presence of unconscious fantasies common to these two entities, clinical and anthropological. Alongside, using one main clinical situation, we sought to show how these two different registers can connect, or even overlay one another. The history of Leo and his mother seemed to us to be the best suited to demonstrate the subject's attempts at a metaphorisation process. The study of these two dimensions enabled us to form a few hypotheses on the recourse to this singular aetiology. Results It can be seen that in certain situations reference to the witch-child can be seen as an attempt to put an “incestuel” experience fraught with numerous confusions into words. It can however be noted that the child thus pointed to as being a witch-child may not be the subject caught up in the “incestuel” atmosphere. Indeed, the two individuals concerned often belong to different generations. Reference to this cultural entity then serves as a means to put words on an unrepresented experience, and is in fact an attempt to find a psychic remedy. It should however be emphasised that this process of translation-figuration often fails, unless another person is there to receive the different languages in which it is expressed. Otherwise, the confusion that the subject is trying to escape merely increases. The careful study of these families thus shows that their relationship with the group from which they originate, the Bamileke, also reflects their pathological functioning, since a traditionally patrilinear structure is replaced by a family organisation centred on the rejection of otherness, placing the sole mother–daughter relationship at the centre of filiation, and thus taking on the mask of a matrilinear structure. Discussion These various elements suggest the need to take account of the articulations between psyche and culture. It is clear that it is important to hear the subject on the multiplicity and the complexity of his/her different components, and that the understanding of psychopathological situations can be enhanced by the contributions of anthropology. Humans should be reduced neither to their unconscious functioning, nor to their particular culture. This also shows that in some instances the position of a subject in relation to the group can be an indicator of a pathological family functioning. Conclusion First of all, this work shows the impossibility of putting a name on an “incestuel” family functioning and the ensuing confusion. Resorting to the aetiology of the witch-child appears here as a metaphor of this type of functioning, on account of the equivalent unconscious fantasies that underpin the two dynamics. However, only the articulation of the two registers, culture and psyche, in the setting of work on meaning, will enable the subjects concerned to embark on an elaboration. It is here that, by way of metaphorisation, this work cane enable a process of translation, figuration and individuation to occur. [ABSTRACT FROM AUTHOR]