Depuis les debuts de la Communaute Europeenne jusqu'au Traite de Lisbonne, la lutte contre les discriminations en Europe a evolue de facon spectaculaire. Des premiers articles du Traite de Rome consacrant une approche dite «partielle et fonctionnelle», (ou encore, instrumentale) au Traite d'Amsterdam et la charte des droits fondamentaux correspondant a une logique «droits fondamentaux», l'ensemble des instruments normatifs europeens couvre un tres large spectre de cas de discriminations. En effet, depuis l'avenement des directives 2000/43/CE et 2000/78/CE sous l'impulsion de l'article19 TFUE (ex article 13 TCE), les instruments legislatifs europeens ont couvert un nombre toujours plus important de types de discrimination, et ce, dans un nombre croissant de domaines allant des relations de travail a la fourniture de biens et services, en passant par la securite sociale. Au-dela de ces developpements, cruciaux du reste, il est egalement interessant de se pencher sur d'autres aspects de ces directives. En particulier, sur les dispositions contenant des elements proceduraux, au rang desquels, l'obligation de prevoir des procedures judiciaires specifiques aux cas de discriminations, ou encore l'obligation de creer des organismes de promotion de l'egalite. Ces mesures sont autant de manifestations de ce que d'aucuns ont qualifie de proceduralisation du droit de la non-discrimination. Comme requis par les directives en question elles-memes, les Etats membres doivent communiquer tous les cinq ans «toutes les informations necessaires a l'etablissement par la Commission d'un rapport au Parlement europeen et au Conseil sur l'application de la presente directive». C'est dans ce cadre que la Commission europeenne a, en 2010, entrepris des etudes sur l'implementation des directives dans les Etats membres. Deux de ces etudes au moins portaient sur ces procedures : l'une sur les mecanismes d'acces a la justice, l'autre sur les organismes de promotion de l'egalite. D'autre part, il n'est pas anodin de remarquer que l'acces a la justice et les procedures y afferentes est egalement un sujet de preoccupation pour l'Agence des droits fondamentaux de l'Union europeenne, qui a recemment publie un rapport dans lequel elle s'interroge sur le bon fonctionnement de l'acces a la justice dans les Etats membres, et specialement en cas de discrimination. On peut donc se demander comment interpreter ces etudes mettant l'emphase sur une infrastructure procedurale, et in extenso, se demander le role que ces diverses procedures jouent dans les directives luttant contre les discriminations. Une facon de proceder est de comprendre ces «hypertrophies parajudiciaires» a la lumiere de la nature meme du droit a la non-discrimination. Depourvue de contenu substantiel, sa nature, essentiellement procedurale et regulatoire, le rapproche d'autres droits fondamentaux comme le droit au proces equitable, ou encore le plus recent droit a la protection des donnees personnelles. Il s'agirait donc moins de pourvoir une liberte fondamentale substantielle d'une sanction judiciaire, que de trouver le meilleur moyen de mettre en oeuvre une liberte qui, de par sa nature formelle, a vocation a s'appliquer de facon transversale dans tous les secteurs de la societe, et ce, a chaque instant. En ce sens, la proceduralisation des directives europeennes apparait comme le corollaire necessaire d'une approche proactive de la lutte contre les discriminations (mainstreaming) qui vise justement a realiser l'egalite de facon permanente, en ce qu'elle en constitue l'infrastructure contraignante necessaire., Dans un premier temps, cet article retracera l’évolution de la législation européenne anti-discrimination, s’intéressant aussi bien aux directives successives qu’aux nouvelles provisions y intégrées, en ce compris les dispositions procédurales. La deuxième partie abordera deux études commanditées par la Commis- sion européenne dans les 27 Etats membres, portant respectivement sur les organismes de promotion de l’égalité et les mécanismes d’accès à la justice, qui sont autant de manifestation d’une «procéduralisation» du droit de la non-discrimination. Seront donc expliqués leur objet respectif, ainsi que leurs éléments les plus pertinents. La troisième partie analysera ces études à la lumière de l’évolution des politiques européennes en matière de non-discrimination, passant d’une approche a posteriori à une approche a priori. Enfin, la dernière partie reviendra sur cette «procéduralisation» du droit à la non-discrimination et sur les politiques de mainstreaming, dont le but est la mise en œuvre effective de ce droit, ce qui nous amènera à nous interroger sur la nature du droit à l’égalité en tant que liberté fondamentale.