Avec 80 millions de personnes déracinées à travers le monde, les espaces de refuge sont en train d’émerger comme les transformations urbaines les plus visibles des temps modernes. Ces espaces, dont la fonction première est d’abriter temporairement, servent souvent d’habitat pour les réfugiés pendant des décennies. Cependant, les États hôtes, majoritairement des pays en développement, persistent à accueillir les réfugiés selon des politiques à court-terme. Cet écart génère plusieurs tensions mais se manifeste explicitement dans la conception temporaire des espaces de refuge. Sur le plan théorique, alors que les migrations sont largement documentées, des connaissances limitées existent sur la reproduction de chez-soi. Les théories qui portent sur les espaces de refuge se concentrent surtout sur des enjeux géopolitiques et anthropologiques, négligeant l’espace en soi. Pauvres en nuances, elles classent ces espaces selon des conceptualisations dichotomiques souvent déconnectées du vécu des réfugiés. Cette recherche propose une nouvelle lecture des espaces de refuge à travers les lentilles du pouvoir, de la culture et de l’espace. Elle étudie l’appropriation de ces espaces en se basant sur l’exploration des pratiques sociales, économiques et politiques des réfugiés, de leurs interventions sur l’espace et du lien qu’ils développent avec leurs nouveaux environnements de vie. Elle révèle également l’influence des approches adoptées par la communauté internationale, les gouvernements d’accueil, les organismes humanitaires et les communautés hôtes. L’étude est qualitative exploratoire et adopte la méthode de l’étude de cas multiples. Cette approche permet d’acquérir une compréhension approfondie des perceptions des réfugiés des contextes sociopolitiques et économiques qui caractérisent leur vécu d’une part et de leurs représentations de l’espace d’autre part. Trois typologies d’habitat — deux habitations urbaines, deux campements informels et deux camps organisés — sont étudiées afin d’évaluer l’importance du type de l’espace par rapport à son appropriation. L’étude adopte l’ethnographie comme approche méthodologique complémentaire, dévoilant l’évolution des conditions de vie des réfugiés et la transformation de leurs espaces. Le cas à l’étude est celui des réfugiés syriens au Liban. Submergé par le nombre de réfugiés sur son territoire, le plus grand par nombre d’habitants au monde, le Liban exclut les réfugiés syriens des systèmes institutionnels, économiques et urbains dans le but de réduire leur accès au territoire, de limiter la durée de leur séjour et de prévenir la consolidation matérielle et immatérielle de leurs espaces. Toutefois, huit ans après, les stratégies adoptées par le gouvernement libanais se sont avérées infructueuses : le nombre des réfugiés syriens accueillis est sensiblement le même et leurs espaces se sont pour la plupart ghettoïsés. La thèse propose cinq résultats principaux : 1) l’enjeux central dans l’appropriation des espaces de refuge est un ensemble de géométries de pouvoirs politique, économique et social ; 2) la gouvernance faible de l’État d’accueil fragmente les systèmes traditionnels et permet l’émergence de structures de pouvoir informelles qui contrôlent les réfugiés et leurs espaces ; 3) l’exclusion des réfugiés exacerbe leur vulnérabilité et l’organise au profit de parties prenantes locales influentes. Elle réduit leurs chances d’émigrer et mène souvent à la ghettoïsation de leurs espaces ; 4) la typologie des espaces n’est pas centrale par rapport à leur appropriation ; 5) l’enracinement de l’identité dans le lieu d’origine est une idée basée sur des considérations politiques anti-migratoires. Les espaces de refuges évoluent, selon les opportunités et les défis dans le milieu d’accueil, suivant un continuum entre non-lieux temporaires et lieux de vie socioculturels. En transcendant leur marginalisation et leur homogénéisation, cette recherche dévoile la réalité intime des espaces de refuge. Elle montre que souvent, ils deviennent des chez-soi, lieux de vie quotidiens qui abritent des individus qui forment des groupes sociaux culturellement distincts et économiquement hiérarchisés. D’un point de vue théorique, elle montre que l’accueil des réfugiés est souvent basé sur l’hostipitalité, une hospitalité hostile qui vulnérabilise les réfugiés et facilite leur exploitation. Elle révèle que l’appropriation des espaces de refuge augmente proportionnellement avec l’inclusion institutionnelle et l’autonomisation socioéconomique des réfugiés, concourant à la reproductibilité rhizomique de leur identité individuelle et collective. D'un point de vue pratique, cette recherche démontre que, sous prétexte de raccourcir la durée de l’accueil des réfugiés, les politiques d’accueil sont en réalité adoptées dans l’intérêt économique et politique d’acteurs étatiques et privés. Dans le but d’atteindre une meilleure justice spatiale, elle recommande aux gouvernements d’accueil un changement de paradigme à travers l’adoption de stratégies plus inclusives à l’égard des réfugiés menant à leur autogestion et leur développement et d’approches adaptées à l’usage et à la durée de leurs espaces., With 80 million people uprooted around the world, refuge spaces are coming to be the most visible urban transformations of modern times. These spaces, whose primary function is to shelter, often accommodate refugees for decades. Yet, host states, mostly developing countries, continue to host refugees without adopting comprehensive, long-term strategies for their integration, causing acute political, socio-economic, and humanitarian problems. The lack of a long-term solution is explicitly revealed by the conceptions of refugee spaces, often designed as temporary solutions. From a theoretical perspective, while social scientists and geographers have widely documented the geopolitical and anthropological aspects of forced migrations, they have neglected the concept of space appropriation and the production of place identity in refugee spaces. Indeed, their classification of space/place is often based on dichotomous conceptualizations and differs from refugees’ real-life experience. This research examines refugee spaces through the lenses of power, culture, and space. It provides new evidence on the appropriation of these spaces through refugees’ social, economic, and political practices, their interventions on space, and their perceptions of their new living environment. It also examines the impact of the strategies adopted by the international community, host governments, humanitarian organizations, and local communities. The research method is qualitative and exploratory; it is based on a multiple case study design. This methodological approach provides an in-depth understanding of refugees' perceptions on the socio-political environment undergirding displacement and on their representations of space. Three space typologies — urban dwellings, informal settlements, and organized camps — are studied with the purpose of assessing the relevance of the space-type in relation to its appropriation. The study uses ethnography as a complementary methodological approach, shedding light on the evolution of refugees’ living conditions over time and the transformation of their spaces from a cultural standpoint. It specifically focuses on Syrian refugees in Lebanon, a country which hosts the largest number of refugees per capita in the world. Overwhelmed by the number of refugees hosted, Lebanon excludes Syrian refugees from formal legal, economic, and urban systems, limiting their access to the territory, reducing the duration of their stay, and preventing the tangible and intangible consolidation of their living spaces. Yet, eight years later, the strategies adopted by the Lebanese government have proven unsuccessful: the number of Syrian refugees is roughly the same as at the beginning of the conflict and most of their spaces have been ghettoized. Results show that: 1) complex geometries of political, economic, and social powers determine the appropriation of refugee spaces; 2) weak state authority fragments traditional governance systems which leads to the emergence of informal power structures that control refugees and their spaces; 3) refugees’ exclusion exacerbates their vulnerability, while benefitting local stakeholders, subsequently reducing their chances of emigration and leading to the ghettoization of their living spaces; 4) the typology of spaces is not a major variable in relation to their appropriation; 5) the rooting of identity in the place of origin is an idea based on anti-migration political viewpoints; refugee spaces can evolve along a continuum between temporary non-places and socio-cultural places of life depending on the opportunities and challenges in the host context. Transcending the stigmatization, marginalization, and homogenization of refugee spaces, this research reveals the intimate reality of these spaces. It shows that they often become places of everyday life for refugees who form culturally dissimilar and economically hierarchical social groups. From a theoretical point of view, this research shows that hosting policies are often based on hostipitality, or a hostile form of hospitality which exacerbate refugees’ vulnerability and facilitates their exploitation. It shows that refugees’ appropriation and control of their living spaces increase proportionally with their legal inclusion and their socio-economic empowerment by the host state, inciting the rhizomic reproducibility of their individual and collective identity in their new habitat. From a practical point of view, the research shows that hosting policies adopted on the pretext of shortening the duration of refugees’ settlement are in fact in the interest of state and private actors. With the purpose of achieving spatial justice, the study recommends a change of paradigm in refugee policies with approaches that are more inclusive towards refugees leading to their self-management and their development, and adapted to the use and duration of their living spaces.