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Une mise en contexte s’impose avant de présenter les données de la culture matérielle et les analyses paléo-économiques relatives à la zone 2 du site de Taraschina. Pour comprendre la dynamique de l’habitat, il est nécessaire de décrire les contextes archéologiques, les structures et aménagements anthropiques et de proposer d’inscrire tous ces événements dans une trame chronologique. C’est pourquoi nous porterons une attention toute particulière à la présentation du diagramme stratigraphique, conçu non pas comme un document neutre, mais comme le support analysé et interprété de l’histoire des occupations qui se sont succédées dans une partie du tell de Taraschina.

L'objet de cette publication est de présenter les travaux relatifs à l’histoire du peuplement du delta du Danube. Ces recherches se cristallisent autour de la mission « Archéologie du delta du Danube » et poursuivent l’objectif d’étudier les relations qu’entretenaient les sociétés passées, notamment néolithiques et protohistoriques, avec leur environnement. Le but de ce programme collectif et interdisciplinaire est de caractériser les changements environnementaux qui se sont produits, à l’échelle du bas Danube et du littoral de la mer Noire, durant l’Holocène, et de mesurer l’impact de ces changements pour les sociétés. Notre projet est résolument interdisciplinaire et réunit aujourd’hui une équipe franco-roumaine forte de près de 40 chercheurs impliqués tant dans les approches géo-archéologiques, paléo-environnementales, archéologiques qu’archéométriques. Créée en 2010, la mission n’a eu de cesse de questionner les données archéologiques, géo-archéologiques et historiques, de manière à formuler de nouveaux paradigmes sur les relations sociétés- environnements.

Le delta du Danube est un symbole de la biodiversité, une terre en constante transformation qui a été soumise à travers les âges à l’influence conjuguée de facteurs naturels et anthropiques (Simion, 1971 ; Micu et al., 2009a ; Carozza, Bem, Micu, 2011). La Réserve de biosphère du delta du Danube abrite, au-delà d’une très riche biodiversité, un patrimoine archéologique et historique moins bien connu et étudié (Ca- rozza et al., 2011). Ce n’est que très tardivement, bien après la création de la Réserve Biosphère Delta du Danube, qu’ont été pris en compte le patrimoine historique et le rôle joué par les sociétés humaines dans la transformation des écosystèmes du delta. Dorénavant, les recherches archéologiques, dans leur dimension interdisciplinaire, contribuent à mieux documenter, dans la longue durée historique, l’évolution de la flore, de la faune, du climat, de l’hydrologie, des paysages et l’impact des sociétés humaines sur l’environnement (Carozza, Bem, Micu, 2011 ; Carozza et al., 2014a). Les données historiques et archéologiques permettent d’appréhender, au-delà des simples dynamiques de peuplement, la nature des relations qui unissaient les sociétés passées à leur environnement.

En Roumanie, la zone du bas Danube et son delta constituent, à partir du 5e millénaire avant notre ère, une zone au très fort peuplement. L’apogée de ce phénomène de densification de l’occupation de l’espace coïncide avec le développement des communautés chalcolithiques de la culture Gumelniţa (4600-4000 BC). Ce territoire, fortement structuré par le fleuve et les écosystèmes associés, a permis le développement d’une économie de production fondée sur l’agriculture, le pastoralisme et l’exploitation des ressources locales. Cependant, derrière une homogénéité de façade des composantes culturelles (productions matérielles et symboliques, formes de l’habitat et de l’occupation des sols), s’observe à une échelle locale une forte variabilité des organisations sociales et des modèles économiques. Les possibles raisons de cette variabilité sont multiples, mais les modalités de l’exploitation des ressources naturelles dans un environnement changeant semblent jouer un rôle majeur. Vers 4350 BC, des changements environnementaux – et plus particulièrement des changements hydro-géomorphologiques – affectent les zones humides dans le delta du Danube. Le forçage lié à l’évolution du niveau de la mer Noire est déterminant dans les modifications des écosystèmes des zones humides. L’objet de cette contribution est de déterminer les temporalités de ces changements socio-environnementaux et de caractériser les différentes stratégies d’adaptation que les communautés chalcolithiques ont pu développer face à un forçage global.

L’un des principaux objectifs de cette monographie est de présenter le résultat des recherches menées dans le delta du Danube depuis 2011, date de la publication des premiers travaux conduits sur le tell submergé de Taraschina (Carozza, Bem, Micu, 2011). Nous avions alors précisé l’attribution chrono-culturelle des occupations des niveaux supérieurs du tell, défini les contextes stratigraphiques et présenté les premières hypothèses paléo-économiques. Depuis, la poursuite des recherches de terrain, conduites à l’appui d’une grande diversité d’approches telles que les prospections géophysiques de surface, les carottages géo-archéologiques intra et hors site, les reconstructions paléo-environnementales (…) nous permet aujourd’hui d’apporter de nouvelles données susceptibles de faire évoluer les hypothèses initialement formulées.

Les premières investigations sur le site de Taraschina se sont déroulées au printemps 2009, sous la forme de prospections de surface (fig. 1). Parallèlement, deux sondages de 4 m2 ont été implantés dans des zones de fortes concentrations de mobilier. L’ensemble de ces données a été publié en 2011 (Carozza, Bem, Micu, 2011). En 2010, date de la création de la mission « Archéologie du delta du Danube », une première zone de fouille de 72 m2 a été ouverte. Parallèlement, une fouille plus extensive a été ouverte dans les carrés N-J/57-53 à l’automne 2011, dans l’objectif de caractériser les modalités d’abandon de l’habitat chalcolithique et d’appréhender l’organisation spatiale et stratigraphique de l’habitat (fig. 1 et 2). Cette seconde fenêtre de fouille (zone 2), de taille modeste, a été implantée dans un secteur où les prospections de surfaces avaient permis d’identifier une forte concentration de terre à bâtir rubéfiée. Après une campagne de fouille en 2012, la poursuite des investigations de la zone 2 a été interrompue en 2013 en raison de fortes crues du Danube et de la submersion totale de la surface du site (fig. 2)

Le tell de Taraschina se trouve au cœur de l’actuel delta du Danube, dans une zone de lacs naturels et de roselières, zébrée de canaux artificiels, témoins des aménagements réalisés durant la seconde moitié du 20e siècle, pendant la période communiste. La découverte du site archéologique remonte au début des années 1980, à l’appui de ramassages de surface. Parmi les cartes anciennes, seule celle établie par Grigore Antipa au début du 20e siècle figure l’emplacement exact du site chalcolithique (Antipa, 1914). Cet érudit n’a pas identifié le site, mais la cartographie qu’il a dressée des lieux montre une forme ovalaire se détachant nettement dans un paysage de marais, de lacs et de bras morts. Situé dans l’actuel delta du Danube, le tell de Taraschina n’apparaît pas intégralement dans le paysage, ce qui en fait une spécificité au regard des tells contemporains. Le site est noyé dans les sédiments du Danube et seul le tiers supérieur du site émerge des eaux du delta. La base du tell et la morphologie du paysage sont totalement soustraits à la vue. Cette particularité, qui nous empêche également de fouiller les horizons inférieurs du site de Taraschina, nous a contraint à mettre en œuvre des approches innovantes.

Le tell chalcolithique de Taraschina est un site unique dans son genre. Situé au cœur du delta du Danube, il incarne une problématique de recherche relative aux paysages préhistoriques submergés et nous renseigne sur la manière dont les communautés néolithiques ont été confrontées à de profonds changements environnementaux. Cet ouvrage ambitionne de dépasser le simple cadre de la monographie d’une fouille archéologique. Il témoigne d’une démarche intégrée, régressive, qui aspire à traiter la question complexe des relations existant entre les communautés humaines et leur environnement, au-delà des seuls déterminismes environnementaux. En développant des méthodes spécifiques aux milieux humides et en animant un collectif interdisciplinaire, nous livrons au lecteur le fruit d’un travail collectif, ancré sur le terrain. À l’issue de la rédaction de ce volume monographique centré sur les paysages submergés autour du tell de Taraschina, nous tenions à témoigner notre attachement à la voie tracée par Dragomir « Mirel » Popovici et Bernard Randoin. Les membres de l’équipe ont, directement ou indirectement, été inspirés ou influencés par les travaux pionniers de l’équipe franco-roumaine qui a fouillé depuis le début des années 1990 le célèbre tell de Hârşova. Ce site a constitué un véritable creuset de réflexions sur le Chalcolithique du bas Danube et a initié les premiers travaux interdisciplinaires dans le contexte des recherches sur le Néolithique de Roumanie. Ouvrant ainsi la porte à des coopérations et à la formation d’étudiants roumains à l’étranger, le chantier école de Hârşova a influencé toute une génération d’archéologues, aujourd’hui moteurs de la recherche sur le Néolithique et le Chalcolithique de Roumanie.

Ecrire une géohistoire des aménagements et des paysages du delta du Danube des 400 dernières années constitue sans nul doute une gageure. Ce travail, amorcé dès les années 1980 pour de nombreux deltas (Picon, 2008), n’avait pas été entrepris en Roumanie communiste qui demeurait dans une perspective d’aménagement et d’exploitation des ressources naturelles et des zones humides.

Le mobilier céramique représente l’essentiel des matériaux façonnés mis au jour sur le tell de Taraschina. L’objet de cette contribution est de présenter les principales tendances déduites de l’analyse des 51 ensembles céramiques mis au jour au sein de la zone 2 du site, dont la fouille s'est achevée au printemps 2015. Nous proposons ici, sous forme de planches, le corpus céramique complet de la zone 2. Celle-ci a livré, à l'issu de 4 campagnes de fouille, plus de 27 700 fragments

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction de cet ouvrage, l’un des objectifs de la mission « Archéologie du delta du Danube » est de réfléchir aux modalités de la néolithisation de la zone du bas Danube mais aussi à l’implication de ces communautés dans l’émergence des sociétés dites chalcolithiques, relevant de modes d’organisation complexe, à forte hiérarchisation sociale. Si, jusqu’à présent, nos recherches de terrain se sont focalisées sur la culture Gumelnița et ses développements dans la zone du delta du Danube, nous amorçons aujourd’hui un nouveau travail axé sur les modalités de l’émergence du Chalcolithique en Dobroudja, entre le littoral de la mer Noire et le Danube. Pour amorcer cette recherche, nous avons engagé une relecture des collections archéologiques issues des travaux de Dumitru Berciu dans la zone riveraine de l’actuel lac Goloviţa. Parallèlement, nous avons entrepris l’analyse des données bibliographiques et engagé un programme de datations radiocarbone. Cet article a pour objet de livrer les premiers résultats de ce programme et de préciser la problématique de nos futures recherches.