Gérard, Françoise, Piketty, Marie-Gabrielle, Boussard, Jean-Marc, Christensen, Ane-Kathrine, Fallot, Abigaïl, and Voituriez, Tancrède
Dans le cadre du GATT puis de l'OMC, la politique agricole européenne (PAC) est de plus en plus souvent présentée comme responsable de la persistance du sous développement et de la pauvreté. Le raisonnement est le suivant : les subventions à l'exportations et les aides diverses aux agriculteurs européens maintiennent les prix agricoles mondiaux à un niveau trop faible pour permettre aux pays en développement (PED) d'enclencher des " cercles vertueux " de croissance économique. Dans le même temps les taxes aux importations empêchent l'accès au marché européen et privent ainsi ces pays des recettes d'exportations dont ils bénéficieraient en leur absence. Plusieurs modèles mondiaux, reconnus par la communauté scientifique internationale, évaluent les gains, pour les pays en développement, d'un retrait de la politique européenne et soulignent leur importance. Cette étude s'interroge sur la justesse de l'accusation portée à l'encontre de la PAC à partir de l'analyse des résultats de plusieurs variantes d'un modèle mondial, dont la version " standard " reproduit les caractéristiques des modèles mentionnés ci-dessus. Les gains apparaissent non seulement extrêmement faibles en valeurs relatives mais aussi très sensibles aux hypothèses de fonctionnement des marchés. Résultat 1 : Les gains associés à la libéralisation sont extrêmement faibles. Souvent présentés en valeurs, les gains de la libéralisation fournies par différents modèles peuvent paraître en première lecture énormes : des centaines de milliards de dollars. Cependant, ramenés à un pourcentage des revenus distribués, ils représentent généralement moins de 2% de ceux-ci en moyenne tandis que les principaux bénéficiaires voient rarement leurs revenus augmenter de plus de 5%. Les estimations des bénéfices à attendre de la libéralisation sont donc en réalité particulièrement faibles. Le modèle mondial utilisé dans cette étude, dans sa variante " standard ", retrouve les résultats des modèles existants. Par ailleurs, dans les simulations conduites avec une variante du modèle comprenant 3 régions - Europe, Etats-Unis et un Reste du Monde très agrégé -, ce sont davantage les Etats-Unis que le Reste du Monde qui bénéficient du retrait de la protection européenne. Dans la version du modèle où le monde est désagrégé en 13 régions, ces résultats sont qualitativement confirmés. De même, la croissance des prix agricoles, censée induire une dynamique de développement durable dans de nombreux pays du Sud, est généralement estimée à moins de 5% après libéralisation. Quiconque connaît quelques systèmes de production agricole de la zone tropicale sait que ce n'est pas une hausse si modeste qui augmentera de façon substantielle les revenus des agriculteurs et permettra d'induire des " cercles vertueux " de développement, en particulier si les prix internationaux demeurent instables. Au contraire, parmi les ménages les plus pauvres, nombreux sont ceux qui ne sont pas autosuffisants, même en zone rurale, et qui souffriront de la hausse des prix, au moins à court terme. Plutôt que la libéralisation totale du commerce de produits agricoles, c'est peut être la mise en place d'une régulation de ces marchés, dont il faut reconnaître l'efficacité dans la croissance de l'offre, en Europe comme en Asie du Sud-Est, qui serait à même de permettre à certains pays en développement d'enclencher un de ces fameux " cercles vertueux " tout en progressant du point de vue de la sécurité alimentaire. Ainsi ne faut il pas que les pays en voie de développement fondent de trop grands espoirs sur l'intérêt qu'il y aurait pour eux à exporter des denrées agricoles vers les " pays riches : si leur offre devenait significative, les prix internationaux chuteraient, et les bénéficiaires, en admettant qu'il y en ait, seraient plus probablement les consommateurs des pays riches, les producteurs des pays pauvres ne recevant que le strict nécessaire pour maintenir en vie une main d'oeuvre qui n'est bon marché que parce qu'e