La vie en entreprise est aujourd’hui marquee par ce constat tout simple : chacun, dans son activite quotidienne, decouvre qu’il peut se situer aussi par rapport a d’autres cultures et plus seulement dans sa propre societe nationale. Ainsi, a mesure que se diversifient pratiques d’expatriation et internationalisation de l’activite, les strategies des firmes multinationales reposent de plus en plus sur des processus de socialisation de leurs membres qui cherchent a developper et renforcer une culture « globale » d’entreprise, sans mettre en peril les cultures des filiales locales. Les specialistes parlent de management interculturel. Des fonctions d’« ambassadeur d’entreprise » sont assignees a une nouvelle generation de cadres internationaux dont la mission sera de jouer un role efficace d’interface entre siege et filiales, comme entre filiales elles-memes, une fois qu’ils seront bien « impregnes » de la culture de l’entreprise comme des particularismes des differents marches. Le processus par lequel ces cadres internationaux continuent a s’approprier l’esprit de la communaute a laquelle ils appartiennent et, en meme temps, s’identifient a des roles professionnels en apprenant a les jouer de maniere personnelle et efficace, hors de leur contexte culturel d’origine, est un objet d’etude fecond mais peu etudie. Cette question a ete le plus souvent evoquee en termes d’assimilation mecanique aux valeurs de l’entreprise, de ses dirigeants, ou de dualite identitaire insurmontable pour le salarie (le trop fameux « choc culturel »). Loin de cela, les modalites de socialisation des cadres internationaux d’Alpha illustrent un type d’integration difficile et qui se manifeste en une multiplicite d’experiences vecues liees a l’international. Derriere l’immediate « adhesion » reclamee par les instances dirigeantes, s’opere, au cours de la mobilite internationale, un travail reflexif entre la subjectivite du manager, son rapport a ses origines, et l’objectivite de ses roles sociaux. A un niveau individuel, etre un cadre international, c’est une maniere particuliere de vivre l’experience en terre etrangere, ou plutot, plusieurs manieres de vivre des strategies de l’identite liees a la manipulation de son ethnicite dans un contexte de forte mobilite geographique et fonctionnelle. Cet article demontre aussi que la socialisation des cadres internationaux ne se definit pas a travers une meme culture mondiale ou transnationale des elites qui ferait disparaitre les enracinements ethniques et les differences nationales. La « communaute », le registre des appar tenances ne disparaissent pas dans l’entreprise « mondialisee ». Ainsi, de plus en plus, les grandes entreprises possedent la caracteristique de favoriser une multiplication d’espaces sociaux de reference dans lesquels les individus peuvent partiellement user de maniere strategique a travers la mise en place d’une mobilite sociale fondee sur la diversification des definitions de soi. Entretenant un rapport dynamique a leurs identifications ethniques et culturelles qu’ils cherchent a agencer en recit de vie, les cadres internationaux confirment qu’une des scenes premieres de la sociologie de l’entreprise, est le contact de face-a-face avec cet autre avec lequel on est contraint de cooperer.