Berthier, Bruno, Berthier, Bruno, PRIDAES, Centre de Recherche en Droit Antoine Favre (Centre Favre), Université Savoie Mont Blanc (USMB [Université de Savoie] [Université de Chambéry]), Langages, Littératures, Sociétés, Études Transfrontalières et Internationales (LLSETI), and Laboratoire ERMES (Université Nice Sophia Antipolis) - Dipartimento di Scienze Giuridiche (Università di Torino)
International audience; Au département "idées et philosophie politique" du Monde des Lettres, Joseph de Maistre semble devoir incarner pour longtemps encore le profil illuminé archétype du polémiste contre-révolutionnaire que l’on sait, doublé d’un papiste non moins convaincu. Même si de telles étiquettes, toutes commodes qu’elles soient parfois, dans leur outrance didactique, rendent en réalité fort mal compte du caractère beaucoup plus singulier, de l’essence autrement multiforme d’une proposition intellectuelle que ce qu’en a retenu le sens commun, ainsi que nous le montrent les études récentes, peu à peu dégagées de toute sédimentation polémique partisane, au fur et à mesure que s’éloigne le souvenir, daté, d’une revendication idéologique de la réception de l’œuvre.Mais l’on oublie trop souvent, jusqu’au sein de la pourtant savante corporation des historiens de feu les États de Savoie, combien il fut également, lui, l’enfant de ce duché berceau de la dynastie éponyme, l’un des observateurs majeurs, à la lucidité souvent visionnaire ès qualité d’acteur d’importance, de ce complexe politique en surcis à l’heure dramatique où la Révolution, comme partout ailleurs en Europe, lui inocule le germe d’une modernité institutionnelle bientôt incompatible avec ses organes ancestraux sinon archaïques. Substitut puis Sénateur auprès le Sénat de Savoie, il entretient dans la décennie 1780, à l’approche de la quarantaine, une correspondance administrative nourrie avec le Cabinet turinois prouvant qu’il est sans doute à la veille d’une promotion aux fonctions d’Intendant en Val d’Aoste, à Nice, ou pourquoi pas en Piémont, lorsque les événements révolutionnaires viennent brouiller ces plans de carrière pour le jeter au contraire sur les routes aventureuses de l’exil. Mi attaché d’ambassade, mi espion agitateur dans la Suisse des années 1790, le voilà maintenant auprès de son souverain, au début de la décennie suivante, du fait de l’avancée des troupes napoléoniennes en Gaule cisalpine de jadis. Mettant à profit la retraite forcée de Sardaigne, il s’attaque donc avec l’énergie du désespoir, sur injonction officielle, languissant de revoir un jour les paysages riants des possessions de Terre Ferme, à la réforme jusqu’alors sans cesse différée du système judiciaire comme à la rédaction des coutumes de l’île. Juste le temps, l’espace de deux années, de dresser un état des lieux et de lancer la lourde machine législative avant que l’on ne l’envoie là bas, aux confins de la Chrétienté, jouer les ambassadeurs aussi poudrés que désargentés d’un prince fantomatique, presque deux décennies durant, dans les salons antichambres du palais impérial du Tsar de toutes les Russies, sa Majesté Alexandre. Puis retour à Turin, pour y mourir un rien amer, en parfait romantique, avec le titre cependant flatteur de Régent de la Grande Chancellerie royale, soit à peu de choses près la qualité de nos actuels Ministres de la Justice et Gardes des Sceaux.Personnage atypique, Joseph de Maistre développe ainsi au cours d’une carrière placée sous le signe exclusif de la fidélité indéfectible à ses princes, essentiellement de manière diffuse, en filigrane d’une œuvre épistolaire à part entière, (si l’on excepte la prose des premiers pamphlets contre-révolutionnaires, ou celle des premiers mémoires techniques de l’épisode helvétique, encore marqués par un évident utilitarisme militant), une analyse institutionnelle et politique passionnée de ces États de Savoie. Analyse raisonnée, souvent véhémente à l’encontre d’un autoritarisme tatillon contreproductif, aux constats sévères par conséquent, mais exercice exempt d’aveuglement sentimental envers le système institutionnel de cette Patrie aujourd’hui évanouie envers laquelle son attachement quasi atavique a été souvent si mal compris. N’est-il pas tentant, dès lors, de tenter une reconstitution de cet exposé développé l’espace d’un demi siècle, sur les milliers de feuillets épars d’une correspondance volumineuse, par l’un des témoins majeurs de la difficile mue à la modernité d’États de Savoie condamnés à disparaître dans le concert des Grandes Nations ?