Campement de Spangchen, >, Aout 1995 Padma Yangchen m'invite sous sa tente apres avoir faire taire le chien. C'est une jeune femme de vingt-sept ans. Nee et mariee dans sa propre communaute, elle n'en a jamais quitte le territoire: Kharnak, >, quelques 500 [km.sup.2] de montagnes et de hautes plaines arides. Son monde est celui de la tente et du campement. Elle est vetue d'un long manteau de lainage lie-de-vin dont l'un des pans est croise sur l'autre, retenu par une ceinture en laine rouge enroulee plusieurs fois autour de la taille, et chaussee de bottes de laine serrees par une jarretiere sous le genou. Debout, elle s'affaire pres du foyer pour m'offrir la collation de bienvenue: du the sale baratte avec du beurre et epaissi d'une poignee de poudre de fromage seche et de quelques cuillerees de farine d'orge grillee, connu sous le nom explicite de >. Je lui donne quelques provisions achetees a Leh, cheflieu et unique ville du district eponyme, (1) et des allumettes, cadeau oblige que se doit d'apporter toute personne venant du >, comme les gens de Kharnak nomment la vallee de l'Indus et, plus precisement, la region de Leh. Elle accepte en connaisseuse les sucreries, les paquets de biscuits et les navets, mais regarde en revanche avec mefiance les autres legumes qu'elle decouvre ici pour la premiere fois. Incitee a les gouter, elle repose rapidement la tomate jugee >, le concombre > et le chou-rave >. Ici, les legumes ne sont pas a l'honneur, la cueillette se limite a quelques orties ramassees dans la montagne et consommees l'hiver dans des soupes de pate. Pour etre qualifie de tel, un repas doit comprendre de la viande et de la graisse. En ce debut d'apres-midi, le campement est calme. Chacun vaque a ses occupations. Sous la tente familiale, Padma est seule avec son fils Tundup, age de trois mois, lequel joue avec les rais de lumiere filtrant a travers le velum en poil de yak tisse, couche sur un grand chale double de peau de chevre. Assise dehors pres de la porte, Grand-mere Putit baratte du lait caille dans une peau de chevre cousue en forme de sac et gonflee d'air comme une baudruche, qu'elle fait rouler sur ses cuisses. Un peu plus loin, sa fille Tashi tisse sur un metier a dossiere la bourre laineuse (khulu), prelevee sur les flancs des yaks, en de longues bandes qui, cousues entre elles, composeront d'epaisses et chaudes couvertures. Les hommes sont absents du campement. Karma, son frere et le mari de Padma, parcourt la montagne avec le troupeau de chevres et de moutons. Thinlay, le cadet, religieux seculier, est au monastere de Dat (2), situe a plusieurs heures de cheval de Spangchen, au-dela du col de Yar qui separe les campements d'ete des campements d'hiver. Il s'y est rendu la veille, accompagne d'un >, pour pratiquer les devotions quotidiennes au temple: une tache executee a tour de role par la vingtaine de clercs seculiers que compte la communaute. Grand-pere Dorjay est parti a Lung, a quelques kilometres en aval du campement, pour constater les degats causes par les chevaux qui, laisses en libre pature, sont descendus brouter les champs d'orge encore verts. Spangchen, Aout 2002 Le campement n'a pas change d'emplacement, mais il est desormais accessible par une piste a partir de la route reliant Leh a Manali et les visites sont nombreuses: acheteurs de laine et de betes sur pied, fonctionnaires du gouvernement, representants d'ONG et touristes montes en jeep se succedent. Compose exclusivement de tentes noires au velum tisse en jarre de yak en 1995, il compte egalement aujourd'hui des tentes blanches en coton, don d'une organisation caritative tibetaine au lendemain du terrible hiver 1998-1999, et quelques cabanes en pierres seches, lesquelles servent d'entrepot, mais aussi d'habitation. …