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Les récits de fondation élaborés par bon nombre de communautés religieuses féminines et souvent prolongés, jusqu’à leur suppression, par des chroniques, annales et collections d’abrégés de vertus offrent de riches possibilités d’analyses des questions relatives aux vocations et à la représentation que s’en font ou que veulent en donner celles qui en sont les autrices. Loin de ne recenser que les itinéraires les plus « linéaires », quantité de textes évoquent des cheminements parfois plus tort...

Le 10 décembre 1646, le tribunal de la Sacrée Rote romaine rendit sa décision définitive concernant Francisca Coronel. Il reconnaissait la nullité de la profession que celle-ci avait émise au monastère des cisterciennes d’Odivelas près de Lisbonne, quarante-et-un ans plus tôt, en 1605. Dès lors, cette décision s’ajouta à la volumineuse jurisprudence du tribunal pontifical. Elle fut alléguée par exemple cinq ans plus tard, dans le procès qu’une jeune femme de Cologne, Anna Johanna Lenten, avai...

Le rétablissement de la clôture des couvents de femmes par le décret tridentin De Regularibus et Monialibus, en 1563, est un premier pas dans l’entreprise de discipline des ordres réguliers de la part d’une Église romaine fortement mise en question par le mouvement protestant. Ainsi, le concile de Trente, avec ses prescriptions pour des couvents aux clôtures impénétrables, imagine un environnement isolé et reclus, strictement non-mixte, où les femmes entrent pour ne plus en sortir. Pour les c...

Créée en 1766, la Commission royale des Réguliers affiche un objectif clair : remettre de l’ordre au sein des différentes familles monastiques et congrégations religieuses. Elle réunit cinq prélats, ainsi que quatre conseillers d’État. Si l’historiographie s’est traditionnellement attachée à son activité principalement à travers la personnalité de son rapporteur Mgr de Loménie de Brienne (1727-1794), véritable cheville ouvrière de l’institution, ses proches collaborateurs n’ont pas fait l’obj...

En 1505, año de la instalación del tribunal en Las Palmas de Gran Canaria, la Inquisición moderna tenía ya una antigüedad de veinticinco años, y la Corona utilizaba este organismo de carácter religioso integrado en el aparato administrativo del Estado como instrumento político para intervenir por encima de divisiones y jurisdicciones especiales. En el proceso de territorialización del Santo Oficio ya se habían creado todos los tribunales de distrito en la Península, el canario solo vino a com...

En la que es tal vez la más famosa obra literaria de los comienzos de la diáspora de los judíos y cristianos nuevos portugueses, la Consolação às Tribulações de Israel, Samuel Usque mencionaba vehementemente el proceso que condujo a la introducción del Santo Oficio en Portugal, afirmando que Estando elles neste estado detreminarom minhas culpas desenquietarme e perseguirme e tomaram por verdugo e esecutor este Rey dom Johão achando em sua vontade aparelho disposto pera ysto e porque nenhum ma...

Esta presentación se ha concebido en sus principios como un trabajo sin desbrozar aún, que sólo pretende abrir pistas de investigación futura. De hecho, sólo me voy a centrar en el estudio de las «incapacidades legales» que afectaron a los herejes españoles a fines del siglo xv. Es un tema que ha generado estudios y reflexiones amplias, desde sus orígenes hasta el uso que hicieron los Reyes católicos de estas «habilitaciones de cosas prohibidas». Vale decir que no pienso dedicarme al estudio ...

L’ordre des Jésuites constitue un phénomène crucial pour l’histoire religieuse et culturelle des pays tchèques au début de l’époque moderne, notamment dans la période qui suit la bataille de la Montagne blanche. C’est sur l’invitation de l’empereur Ferdinand Ier (1503-1564) que la Compagnie de Jésus arrive dans les pays tchèques, peu de temps après la fondation de l’ordre, au printemps 1556. Le premier collège de Bohême est fondé près de l’église Saint-Clément, dans la Vieille Ville de Prague...

Cuando trata los orígenes de la Inquisición española, Henry Charles Lea afirma que las negociaciones que hicieron posible la bula Exigit Sincerae Devotionis (1 de noviembre 1478), comúnmente considerada como el punto de partida del nuevo organismo, no pudieron por menos que incluir el asunto de las confiscaciones, «que la opulencia de los conversos prometía prever vastas». No existía en aquel momento, añade, una doctrina incuestionable, ni siquiera una práctica uniforme a la que los represent...

Acababa el año 1481 cuando los frailes Joan Cristòfol de Gualbes y Joan Orts entraban en Valencia. Su presencia trasladaba a la capital el conflicto jurisdiccional mantenido entre la Corona y el Papado a lo largo de un año de un tenso tira y afloja. La disputa había surgido con el empecinamiento real por arrogarse una auctoritas religiosa, sustraída a la jurisdicción pontificia, que legitimaba la designación de un tribunal eclesiástico bajo su control que permitía evitar los controles institu...

Les entrées et les sorties dans les monastères féminins peuvent être approchées par une analyse du cadre architectural qui contrôle ces allées et venues au moyen d’une série d’infrastructures, telles que les portes aux multiples verrous, les doubles grilles fermées de volets, les fenêtres barrées de fer ou encore les hauts murs qui ceignent les jardins et les cours du monastère. Réinstaurée par les décrets du concile de Trente, la clôture est au cœur des préoccupations architecturales des con...

Tous les candidats à la vie religieuse régulière doivent passer par une période de probation d’une année appelé noviciat. Après avoir fait acte de candidature, les postulants subissent des interrogatoires et une immersion au sein de l’institution religieuse, dont la durée, variable selon les ordres et le genre, permet de sélectionner les futurs religieux. Avec la cérémonie de la prise d’habit commence alors concrètement le noviciat, au cours duquel l’ordre transforme l’homme ou la femme du mo...

La contribution qui va suivre ouvre un chantier, à l’occasion de l’excellente initiative d’Albrecht Burkardt. Très peu d’études ont été consacrées jusqu’ici au problème du renvoi dans la Compagnie de Jésus, à l’exception d’un petit nombre de travaux récents, que l’on doit à une nouvelle génération de spécialistes de l’histoire des jésuites, affranchis d’une difficulté certaine à affronter une réalité inévitablement douloureuse pour l’historiographie ancienne, essentiellement jésuite, de la Co...

La question des conditions d’entrée et de sortie a sans doute marqué l’histoire des ordres religieux depuis qu’ils existent, et elle est liée à bien des innovations que la vie régulière a connues à travers les siècles. À l’époque moderne, ces mêmes conditions acquièrent toutefois une importance particulière. La période est caractérisée, dès ses débuts, par une crise profonde des réguliers, la Réforme protestante niant résolument leur raison d’être. Les ordres religieux ont pourtant connu, à l’époque de la Contre-Réforme et de la Réforme catholique, une formidable renaissance. Aussi ne cessaient-ils d’affronter des défis nouveaux qui, dans bien des cas, impliquaient une reconsidération des rapports avec « le monde ». Tout au long de la période, l’entrée dans les ordres, de même que les possibilités d’en sortir, avaient des enjeux sociétaux importants suscitant régulièrement débats et conflits entre les différents acteurs : les ordres religieux, les familles « alimentant » le recrutement du clergé, les institutions romaines, les autorités étatiques, l’opinion publique naissante. Le présent livre cherche à dresser un tableau des problèmes que pose ce sujet à facettes multiples, en prenant en compte la production des normes autant que les pratiques, les entrées et les sorties définitives ou temporaires, bien réelles ou relevant du domaine des (auto)représentations.

Les contributions de ce volume constituent autant d’aperçus d’un champ thématique très vaste. En effet, se dessine, derrière elles, pour le sonder, tout un programme de recherche. Celui-ci devrait trouver son point de départ dans une analyse approfondie des tentatives de réformation des pratiques d’entrée (âge de la prise d’habit, durée du noviciat, âge de la profession, montant de la dot) et de sortie des couvents qui ont vu le jour après le concile de Trente, que ces tentatives soient génér...

La juridiction de l’Inquisition romaine sur l’Église de France est restée limitée tout au long de l’époque moderne, elle n’est cependant pas inexistante. La congrégation administre en particulier un certain nombre de dispenses canoniques pour lesquelles elle est compétente ou peut se penser, ou être pensée par des requérants, comme compétente. Dans le cas des demandes de dispense venues de France, ou soumise à Rome par des Français, cependant, l’essentiel ne se joue pas non plus nécessairemen...

Je voudrais prendre comme point de départ de cet article l’extrait d’une Chronique de la fin du xvie siècle rédigée par le jésuite Giovan Francesco Araldo et adressée aux supérieurs de la Compagnie pour rendre compte de l’activité de ses membres depuis l’installation à Naples en 1552. Ce texte répondait à la volonté, commune à un grand nombre d’ordres réguliers, de valoriser leur propre histoire afin de définir l’identité du groupe à travers la présence active sur le territoire : cette tendan...

Lejos del sempiterno enfrentamiento entre adversarios y defensores del Santo Oficio, ajeno a esa «historiografía profundamente conflictiva» a la que alude Adriano Prosperi, el presente libro pretende volver, de manera a ser posible novedosa, sobre la tan discutida cuestión de la creación de la Inquisición moderna española a principios del último cuarto del siglo xv. Muchos han sido, en efecto, los investigadores que han intentado aportar respuestas a la pregunta que todos los historiadores de...

Muchos han sido los investigadores que han intentado aportar respuestas a la pregunta que todos los historiadores de la Inquisición, en un momento o en otro, se han planteado: cuáles fueron los motivos que impulsaron a los Reyes Católicos a introducir en España una institución que durante la Edad Media había carecido totalmente de arraigo en la península ibérica. Abordada desde perspectivas muy varias, a partir de enfoques geopolíticos, socioeconómicos o religiosos, esta cuestión de las «razones de la Inquisición» no ha hallado hasta hoy una repuesta satisfactoria y tal vez no la reciba jamás. Probablemente ideada en un principio como una instancia represora provisional dirigida contra los nuevamente convertidos de judíos, la Inquisición sufrió tras la muerte de la reina católica, un colapso que hubiera podido serle fatal, pero no ocurrió así, sino todo lo contrario. Esta coyuntura es la que nos parece crucial entender, porque a través de ella se pasa de una Inquisición de tipo medieval a otra totalmente distinta, de marcado sesgo político. Es en ese periodo, que podríamos llamar el momento estatal del Santo Oficio, en el que intenta ahondar el presente libro, llevando a cabo un estudio tanto de su despliegue jurídico y administrativo como de sus campañas originarias, sus objetivos, políticos, financieros y religiosos.

Comme l’a mis en avant plus d’une fois Gabriella Zarri, l’image qu’on a longtemps cultivée de l’entrée au couvent sous l’Ancien Régime a été façonnée en Italie d’abord par l’histoire, bien connue, de la vocation forcée de Gertrude, la « Monaca di Monza », dans Les Fiancés d’Alessandro Manzoni. La renommée qu’a, tout récemment, gagnée l’Enfer monacal d’Arcangela Tarabotti dans le monde de la recherche n’a que confirmé l’image d’un lieu où l’on n’entre que par la violence, dépeint en tout cas c...

Mis en mots puis en images grâce au roman Le nom de la Rose d’Umberto Eco et par l’adaptation cinématographique de Jean-Jacques Annaud, le cas fameux d’Ubertin de Casale, moine franciscain accusé d’être un fraticelle hérétique (doctrine condamnée en 1317 par Jean XXII) introduit la question de l’entrée et de la sortie des lieux de clôture à la suite d’une incapacité physique. Ubertin, qui souffre et est contrarié par des débilités variées et des infirmités du corps, adresse une supplique au p...

Es un hecho que, de unos años a esta parte, unos cuantos investigadores interesados en la Inquisición fernandina nos encontramos inmersos en la reinterpretación y reescritura de la historia de su creación. Aún conscientes de las dificultades heurísticas e interpretativas que entraña el estudio del origen y primer funcionamiento del Santo Oficio, creemos necesario volver al momento mismo en que nace el problema y conocer en profundidad el periodo comprendido entre 1478 y 1525, esa temprana cro...

L’INDE : ÉTATS ET TERRITOIRES DE L’UNION Carte reproduite avec l’aimable autorisation des Édition La Découverte. (Source : Hérodote, 71 ; L’Inde et la question nationale, 1993, p. 17.) Présentation Depuis la fin des années quatre-vingt, la montée en puissance de la droite nationaliste hindoue, dont l’une des stratégies est de mettre en cause l’indianité des musulmans et des chrétiens du pays, a reposé la question de l’équilibre multi-confessionnel dans le sous-continent. Un tel mouvement « c...

L’adaptation (latin accommodatio), méthode de conversion que de nombreux jésuites appliquèrent dans leurs missions en Inde, aux xviie et xviiie siècles, à la suite de Roberto De Nobili, est connue. Elle consistait à modifier les rites chrétiens et à adopter le comportement et l’apparence de renonçants indiens, afin de convertir l’élite sociale hindoue. Les témoignages de pères français de la mission du Carnate montrent que cette méthode n’était pas sans ambiguïté ni sans danger : la condition de renonçant les plaçait relativement au-dessus des normes hindoues ordinaires, elle les soumettait à des problèmes spécifiques. L’adaptation dans les faits se doubla de la production de textes chrétiens en sanskrit et en langues vernaculaires, souvent peu connus. Le Punarjanmākṣepa, sanskrit, tente de réfuter logiquement la « métempsycose », mais il s’appuie pour cela sur des raisonnements de scolastique européenne et attaque une notion grecque plus que les fondements doctrinaux de la notion indienne de punarjanman. Les Iruvai Prasaṃgālu, telugu, évoquent des vies de prophètes et de saints post-bibliques, en particulier un pseudo-miracle de François Xavier dans un archipel des Moluques : personnages, noms et lieux sont indianisés ou adaptés à l’imaginaire indien. La méthode de l’adaptation illustre la culture jésuite, son baroquisme, son sens du travestissement et du théâtre, ce dernier ayant formé un élément essentiel de ses techniques d’éducation. Mais, au début du xviiie siècle, cette culture fait déjà partie du passé ; elle correspond au christianisme optimiste et conciliant d’une aristocratie dont le rôle historique décroît rapidement, même si les apparences politiques restent encore sauves. Adaptation (latin accommodatio) is a known method of conversion which many Jesuits applied in their Indian missions, after Roberto De Nobili, during the 17th and 18th centuries. This method consisted in an alteration of Christian rites and in the adoption of the behaviour and appearance of Indian renouncers in view of converting the Hindu social elite to Christianity. The testimonies of the French fathers of the Carnatic mission show that this method implied danger and ambiguity: the status of a renouncer involved specific problems and it placed the missionaries somewhat above the ordinary Hindu rules. This adaptation was accompanied with the composition, in Sanskrit and vernacular languages, of Christian texts, often not known today. The Sanskrit Punarjanmākṣepa attempts at logically refuting « metempsychosis », but on the basis of European scholastic reasonings; it then attacks a notion which has more to do with Greek philosophy than with the Indian doctrinal justifications of punarjanman. The Telugu Iruvai Prasaṃgālu describes lives of prophets and of post-biblical saints, particularly a pseudo-miracle of Francis Xavier in the Molucca archipelago: persons, names and places are indianized or adapted to the Indian imagery. The adaptive method illustrates Jesuit culture, its baroque tendency, its sense of disguise and its tradition of theatrical staging, this having been an essential constituent of its educational programme. However, at the beginning of the 18th century, this culture already belonged to the past; it is related with the optimistic and conciliating Christianism of an aristocracy whose historical role fades quickly, even though political appearances are still intact.

L’article examine les formes concrètes prises aujourd’hui en Inde par la recherche d’un modèle de formation cléricale indigène dans le cadre de la politique d’inculturation de l’Église catholique. Il présente les expériences d’inculturation personnelle qui sont conduites dans les maisons de formation de la Compagnie de Jésus en Inde, en partant du cas du diocèse de Patna (Bihar) où les jésuites jouent un rôle important. Extrêmement minoritaire (moins de 1 % de la population), l’Église de Patna reste en effet dépendante des structures missionnaires. Elle est aussi fort hétérogène sur le plan culturel : son laïcat est composé à 95 % de Chamar convertis dans les années trente tandis que les membres de son clergé ont en majorité été recrutés dans les vieilles Églises de l’Inde du Sud (Église syro-malabare en tête). Dans ces conditions, la « formation inculturée » est une opération de socialisation complexe puisqu’elle vise à incorporer des jeunes hommes dans la Compagnie de Jésus tout en les familiarisant avec la tradition culturelle de ceux qu’ils auront à servir. Son objectif est de leur apprendre à concilier leur héritage familial – avec ses racines régionales –, l’identité jésuite – avec l’arrière plan occidental qui la fonde –, et la culture biharie locale – avec son soubassement hindou. Les contradictions inhérentes à cette formation, perceptibles en particulier dans les domaines linguistiques, liturgiques et théologiques, tiennent d’abord au fait que la Compagnie de Jésus en Inde a actuellement deux exigences antinomiques : s’indigéniser tout en perpétuant une identité fondée sur des institutions et des valeurs importées d’Europe. Pour les jésuites indiens, la quête de l’indianité se fait donc au carrefour de l’Inde et de l’Occident. The paper examines the practical forms taken by the quest for an indigenous pattern of clerical formation in India within the context of the policy of inculturation of the Catholic Church. Taking the diocese of Patna (Bihar) where the Society of Jesus plays an influential role as a case-study, it sheds light on the way young Jesuits experience personal inculturation during their formation. The tiny Church of Patna (less than 1 % of the total population) has not yet shaken off the missionary structures. It is very heterogeneous from the cultural point of view: 95 % of its lay community is composed of Chamars converted in the thirties, while the majority of its clergy originates from the old Churches of South India (the Syromalabar Church taking the lead). In these conditions, the « inculturated formation » appears as a rather complex socialization process: it aims at incorporationg young men in the Society of Jesus while familiarizing them at the same time with the cultural tradition of the population they will have to serve. Its objective is therefore to have them reconcile their family heritage – and its regional roots –, with the Jesuit identity – and its western background – and with, as well, the local Bihari culture – and its Hindu background. The inherent contradictions in this clerical formation are particularly felt in the fields of linguistics, liturgy and theology. They boil down to the fact that the Society of Jesus presently pursues two contradictory aims in India: self-indigenization while perpetuating an identity built on institutions and values imported from the West. It explains why Indian Jesuits look for their Indianity at the cross-roads of India and the West.

L’observation des formes spécifiques que revêt aujourd’hui le culte des saints catholiques au Kerala nous a incitée à nous interroger sur les conditions de son émergence. Nous avons ainsi comparé ce culte, d’une part, au culte des saints en Europe et, d’autre part, au culte des divinités dans l’hindouisme. Des différences, mais surtout une certaine homologie des formes cultuelles ont ainsi été mises à jour. Ce jeu entre similitudes et divergences nous a permis d’expliquer l’absence de saints d’origine malayalie, les caractéristiques du pouvoir thaumaturge, la forme des processions ou encore les types de vœu. L’hypothèse qui sous-tend ce travail stipule en effet que l’acculturation du christianisme dans la culture kéralaise s’effectue principalement par la quête des plus proches équivalents des valeurs et des rites que vise à traduire le christianisme. Cette recherche est un processus adaptatif continu qui ne va pas sans de nombreuses équivoques. Celles-ci permettent de préserver l’orthodoxie catholique tout en laissant le croyant exprimer sa foi dans des formes qu’il reconnaît. The examination of the specific forms taken on by the Catholic cult of saints in present-day Kerala has lead us to investigate the conditions of its emergence. On the one hand, we have compared this cult to the cult of saints in Europe and, on the other, to the divinity cults in Hinduism. The differences – as well as homologies between these cultural models – are brought forth. This play of similitudes and divergences enabled us to explain the absence of the saints of Malayali origin, the caracteristics of the thaumaturgical power, the form of processions and the types of vows. The hypothesis underscoring the present work assumes indeed, that within the culture of Kerala the acculturation of Christianity corresponds to the quest for the most contiguous equivalents between cultures, in terms of values and rites appropriate to translate Christianity. This quest is a continuous process of adaptation which can hardly avoid numerous ambiguities. These allow the preservation of the Catholic orthodoxy while, at the same time, the believer is able to express his faith within the forms that he considers his own.

Nous nous proposons d’examiner la formation de la terminologie chrétienne en tamoul dès la deuxième moitié du xvie siècle, époque qui marque le début des publications en tamoul de textes chrétiens avec l’installation des premières imprimeries en Inde et les premiers efforts des missionnaires pour apprendre la langue et étudier la culture et la religion du peuple tamoul. Notre présente étude, qui s’appuie sur les trois premiers textes chrétiens : (1) Cartilha em Tamoul, Lisbonne, 1554 ; (2) tambirāṉ vaṇakkam, Kollam, 1558 ; et (3) kirisittiyāṉi vaṇakkam, Cochin, 1559, montre le fondement solide d’une terminologie chrétienne en tamoul. Nous portons notre attention sur trois critères dans la création des terminologies en tamoul : (1) emprunts, (2) néologie sémantique et (3) néologie formelle. Les missionnaires ont profité des ressources linguistiques tamoules déjà existantes et ont évité ainsi le recours à l’emprunt massif, qui est l’un des facteurs importants ayant contribué, à notre avis, à l’indianisation des terminologies chrétiennes. During the second half of the 16th century the cultural contacts between Europe and the Tamils started flourishing. There began the Christian literature in Tamil with a first printing system in India, and also the pioneering efforts of missionaries to study the language and cultural and religious practices of the Tamils. The present study examines the creation of Christian terminology in Tamil especially in its historical context. This work is based on the first three Christian texts printed in Tamil, in which are set forth Christian doctrine, catechism and Christian faith: (1) Cartilha em Tamoul, Lisboa, 1554; (2) Tambirāṉ Vaṇakkam, Kollam, 1558; and (3) Kirisittiyāṉi Vaṇakkam, Cochin, 1559. We focus our analysis on three phenomena: (1) Borrowing, (2) Semantic extension, and (3) Internal creation, coinage of new words using existing linguistic elements. Our analysis of selected terms reveals that the Jesuit missionaries have carefully taken into consideration the linguistic and cultural components while creating new terms in Tamil. One of the striking features in the coinage of Christian terminology in Tamil is that the missionaries have drawn advantage from lexical elements already available in Tamil, and avoided, whenever possible, the use of loan words, thus contributing to the indianisation of Christian terminology.

La tradition de Rāmdev Pīr, divinité populaire du Rajasthan, du Gujarat et du Sind, se présente sous deux aspects différents : d’une part, un culte hindou non sectaire, rassemblant des adorateurs appartenant à diverses castes et communautés religieuses, s’inscrivant dans le courant général de la bhakd ; de l’autre, un mouvement sectaire étroitement associé à certains groupes d’Intouchables. Dans cette tradition, éléments hindous et islamiques semblent se chevaucher tandis que chefs religieux et sanctuaires sont en quelque sorte dotés d’une double identité. Ce syncrétisme pourrait s’expliquer par l’origine de la secte de Rāmdev. On la désigne par divers noms dont ceux de Nizār panth et de Nizārī dharm, ce qui suggère qu’elle fut, à une certaine époque, associée à la branche nizārī de l’ismaélisme qui pénétra dans le sous-continent vers le xiiie siècle de notre ère sous une forme acculturée. Cette hypothèse semble confirmée par d’autres faits. Récemment, toutefois, les adeptes de Rāmdev qui ont choisi d’assumer une identité hindoue, tendent à minimiser, voire à nier l’influence de l’islam dans leur tradition. Cet article analyse le malaise des dévots face aux aspects syncrétiques et, en particulier, aux éléments islamiques qui ont subsisté dans la littérature dévotionnelle et des rituels. The tradition of Rāmdev Pīr, a popular folk deity in Rajasthan, Gujarat and Sind, presents itself under two different aspects: as a non-sectarian Hindu cult with worshippers from all castes and creeds, somewhat on the lines of the bhakti movement; and as a particular sect closely associated with some untouchable groups in which Hindu and Muslim elements fuse together and gurus and shrines are often endowed with a dual identity. This syncretism can be explained by going back to the origin of the Rāmdev sect. One of the names by which it is known is Nizār panth (or Nizārī dharm). The term Nizār (or Nizārī) itself suggests that the Rāmdev sect in its early period was associated with the Nizārī branch of Ismailism which penetrated the Subcontinent in the thirteenth century in a highly acculturated form. In fact, this hypothesis is confirmed by other data. In recent times, however, the followers of Rāmdev who wish to have a strong Hindu identity have tried to underplay this link with Islam. This article explores the uneasiness of these followers with the syncretistic aspects and, particularly, with the Muslim elements which still pervade their litterature and rituals, and their efforts to explain them away.

En 1964 les célébrations publiques des soixante ans d’un prélat, métropolite de l’une des Églises du Kerala rattachant sa fondation à saint Thomas, furent l’occasion d’un quiproquo. Organisées pour faire triompher, dans un conflit interne, l’une des factions de cette Église, elles furent perçues par l’un des fondateurs de la vhp (« Association Hindoue Universelle ») comme marquant « enfin » une hindouisation du christianisme. Le cas est certes particulier. La dynamique qui le sous-tend ne l’est pas. Parmi les chrétiens de Saint-Thomas, deux stratégies d’intégration religieuse à la société indienne contemporaine opposent les responsables, clercs et laïcs. Le débat est particulièrement vif dans l’Église catholique de rite syro-malabar, où il est indissociable à la fois de tensions internes à celle-ci et des relations qu’elle entretient avec l’Église catholique de rite latin. Ces faits sont eux-mêmes corrélés à des distinctions de statut dans la société des castes. « L’acculturation », ici, n’est donc pas seulement une relation à une autre « culture », avec les malentendus qui peuvent survenir, mais aussi, dans ses modalités, l’expression de conflits et de revendications entre chrétiens. In 1964 the public celebrations of the sixtieth birthday of a prelate, Metropolitan in one of the Kerala Churches which traces back their foundation to St. Thomas, were subject to misunderstanding. The festivities were meant to establish the supremacy of a party within the Church, but were perceived by one of the founders of the vhp as a first step towards an Hinduization. This is admittedly an isolated incident, but its dynamics has a general relevance. Among the Saint-Thomas Christians two strategies about how to realize a religious integration in contemporary Indian society are advocated by the leaders, both in the clergy and in the laity. The controversy is specially acute in the Syro-Malabar Catholic Church and has to be seen in connection with the tensions existing within the Church, and with its relationship with the Latin Catholic Church. These institutional problems are themselves linked to distinctions of status within caste society. « Acculturation », here, is therefore not only a question of how to relate to a different « culture », even through occasional misunderstandings. In its modalities it also expresses internal conflicts and claims among the Christians.

Le revers de la foisonnante complexité de l’acclimatation des religions à vocation universelle en Inde est la variété de ses objets dans l’espace et le temps. Si la distinction entre musulmans, chrétiens et hindous est ancienne dans le sous-continent, elle n’a pas empêché des formes multiples d’acculturation et les traversées de frontières aussi bien chez les lettrés que parmi les pratiquants. Dans la longue durée, l’orientation de l’acculturation des deux plus jeunes religions du Livre diverge : le christianisme fut et reste plus que jamais assimilationniste, l’islam est devenu progressivement séparatiste, c’est-à-dire revivaliste et nationaliste, jusqu’à la naissance du Pakistan. Mais cette divergence résulte moins d’une différence de principes socio-religieux, pourtant notoires, que de la destinée des pays asiatiques depuis la colonisation. On peut en effet dater de la domination britannique la cristallisation des hindous et des musulmans en deux « communautés » différentes, voire opposées. L’aménagement par l’État colonial d’un « espace public » destiné à l’expression de symboles religieux, des symboles auxquels les radicaux donnèrent progressivement une acception ethnico-nationaliste, a en effet politisé les enjeux des dites « communautés ». Sous la pression des poseurs de barrières nationalistes hindous, les musulmans et les chrétiens furent accusés de comploter avec l’aide de l’étranger. Entre-temps, des organisation réformistes musulmanes et hindoues avaient emprunté les techniques de missionariat de l’ennemi commun, chrétien, afin de faire obstacle aux conversions et de lutter contre la « dénationalisation », pour les seconds. Il n’empêche que des brouillages de frontières continuent d’exister aujourd’hui aux plans de la morphologie sociale, des cultes de saints, du travail des réformistes, qui attestent de la richesse de l’imaginaire social de l’acculturation. Mais, depuis les années quatre-vingt, la propagande du « complexe minoritaire de la majorité », concoctée par les organisations militantes hindouistes, trouve un écho dans des couches de populations hindoues de plus en plus larges. Surtout, l’accession aux pouvoirs étatiques régionaux et au pouvoir suprême de partis militants hindouistes, barricadés derrière une orthodoxie ethno-religieuse qui invite au repliement défensif chez les musulmans, augure d’une crise intercommunautaire sans précédent depuis 1947. A concomitant of the fecund complexity of the acclimatisation process undergone by world religions in India is the wide variety of its manifestation in different times and places. Although the distinction between Muslims, Christians and Hindus in the sub-continent has been clear since very early times, this has not prevented many forms of acculturation and cross-fertilization from taking place, involving both theoreticians and practitioners. The directions taken by the acculturation of the two youngest religions of the Book have diverged: Christianity was and remains more than ever assimilationist, while Islam became progressively more separative, that is to say revivalist and nationalist, up to the birth of Pakistan. But this divergence was called less by the well-known differences in their socio-religious principles than by the experience of Asian country under colonisation. In fact the crystallization of Hindus and Muslims into two distinct and even opposed « communities » dates from the British Rule. The creation by the colonial Government of a « public space » in which religious symbolism to which radicals gave increasingly ethnic and nationalist connotations, in fact politicised the concerns of the so-called « communities ». Under pressure from those who were defining the outlines of Hindu nationalism, Muslims and Christians were accused of conspiring with foreign powers. Meanwhile Muslim and Hindu reform organisations had borrowed the missionary methods of their common enemy, the Christians, in order to resist conversions and what the latter termed « denationalisation ». Nevertheless some blurring of frontiers still persists today, and is visible in social morphology, the worship of saints, and the work of some reformers, attesting to the richness of the social imagination for acculturation. But since the 1980s propaganda fueled by « the minority complex of the majority », as concocted by militant Hindu organisations, is finding an ever-widening response from all levels of the Hindu population. Above all, the fact that some militant Hindu parties, barricading themselves behind ethnic and religious orthodoxy which invites a matching defensive response from Muslims, have gained power in some States and perhaps will soon achieve control of the Central government, presages an intercommunal crisis of dimensions unprecedented since 1947.

L’islam et le christianisme, présents en Inde depuis plus d’un millénaire, y comptent respectivement 10 et 20 mil­lions d’adeptes (sur un total de 850 millions d’habitants). Ces deux religions du Livre se sont acclimatées aux contextes lo­caux, et leur adaptation, sous des formes plurielles, variables selon les époques, a suscité des débats sans fin parmi leurs fidèles. Un tel développement, s’il a parfois engendré des ten­sions dans les rapports inter-communautaires, ne peut se comprendre sans être replacé dans le cadre plus global des acculturations incessantes que connaît la société indienne, que ce soit celles entre mouvements religieux, ou régions, langues, castes, etc. Les auteurs des douze contributions à ce volume, qui couvrent le Nord comme le Sud de la péninsule, ont choisi d’aborder la question des musulmans et des chrétiens en Inde en mettant l’accent sur les mille et une façons dont les acteurs sociaux construisent et définissent in situ leur(s) identité(s) et leur altérité. Ils se sont intéressés aussi bien aux pratiques qu’aux controverses, en faisant appel à des disciplines variées : anthropologie, histoire, philologie, linguistique, sociologie urbaine. S’opposant aux discours que tiennent sur les chrétiens et les musulmans les militants radicaux du nationalisme hindou, cette approche souligne les spécifi­cités des formes multiples de l’islam et du christianisme indiens, désormais confrontés aux transformations de l’hindouisme et aux interrogations profondes nées d’une « modernisation » prenant l’Occident pour modèle. Ces études invitent à la comparaison avec les autres aires culturelles où s’épanouissent également ces deux religions du Livre.

Les Mahāmārgī (ou Mahāpanthī), qui forment une secte tantrique du Saurashtra, reconnaissent emprunter, dans le répertoire de leur bhajana, quelques hymnes appartenant à la tradition des gināna musulmans des ismaéliens Satpanthī ou Khojā. L’article présente un de ces textes, bien connu des deux communautés : Sakhī ! Mahā pada kerī vāta, attribué au Pīr Nizārī Sadruddīn/Sahadev, qui utilise les symboles du Yoga tantrique pour décrire l’étape ultime de la quête spirituelle. Prenant en compte la situation exceptionnelle créée par un emprunt hindou à une tradition islamique elle-même redevable aux techniques spirituelles hindoues, nous avançons quelques conclusions sur les problèmes posés par ces échanges islamo-hindous dans un contexte régional. Among the repertoire of the bhajana sung by the Mahāpanthī (or Tantric Mahāmārgī) of Saurashtra there are a few pada they admittedly drew from the gināna tradition of the Muslim Ismaili Satpanthī or Khojā. The present paper introduces a text well-known by both these communities and ascribed to the Nizārī Pīr Sadruddīn/Sahadev who uses the symbols of Tantric Yoga in order to describe the final state attained by the spiritual quest. We propose some conclusions on the exceptional situation created by a Hindu borrowing from an Islamic tradition itself imbued with Hindu ways, as well as on the problems arising from these Islamo-Hindu exchanges in a regional context.

À partir d’un travail de reconstitution des principales confréries soufies du Bihar, et d’un repérage systématique des tombes de saints musulmans (dargāh) les plus fréquentées de cet État, l’article montre comment la spécificité architecturale des dargāh biharis, implantés sur d’anciens reliquaires bouddhistes (stūpa), et la popularité d’une série de kissā arabo-persanes très proches des légendes hindoues des rois-renonçants, incarnent un processus d’acculturation au sein d’une minorité représentant 14,2 % de la population. En reprenant les données sur la longue durée, et en rappelant la teneur du débat engagé, depuis la période médiévale, entre les deux communautés, l’article montre aussi l’évolution actuelle de l’argumentation. À présent en effet, chez les musulmans biharis, la crainte d’une perte d’identité n’est plus tant liée à une indianisation excessive, qu’à une occidentalisation au terme de laquelle l’écart avec les membres les plus traditionalistes de la congrégation ne ferait que s’accentuer. Through an overhaul of the main sufi brotherhoods in Bihar, and by systematically locating the most frequented muslim saints’ graves (dargāh), this article points to an acculturation process embodied in a minority sampling 14.2 % of the whole Bihari population. The process is asserted by the architectural specificity of the Bihari dargāh established on ancient buddhist shrines (stūpa), and the popularity of a series of Arabo-Persian kissā similar to the Hindu legends of the renouncing-kings. The paper, in taking up long-termed data and evoking the contents of the debate pursued between the two communities since the medieval period, also shows the present evolution of the argumentation. Nowdays indeed, among the Bihari muslims, the fear of losing their identity is not so much related to extreme Indianization as to Westernization, the completion of which would but increase their disparity with the most traditionalist members of the congregation.

From the late 17 th century, Christian cult shrines and church centres established under the Jesuit mission in Tamil South India, were incorporated into local systems of political patronage and religious gifting. In particular, through systems of festival of honours, they served the same purpose as local Hindu temples in extending and legitimating the authority of rulers and village headmen, and in integrating the highly diffuse domains of political control which characterised the pre-colonial state in the Southern Tamil country. This paper describes the detailed structure of one such cult, that of St. James (Cantiyakappa) in the village of Alapuram. As well as articulating local political dominance, the festival honours at this shrine provided the chief idiom of caste rank and precedence in a religiously plural community. Moreover, being at the centre of the local discourse of caste and power, the festival honours equally became the most important institutional context for contesting and negotiating caste rank and social position. The shifting pattern of such conflicts is traced during the 19th and 20th centuries. During this time the position of the missionary priests changed. Under colonial government, Jesuit missionaries acquired a new authority, they ceased to be renouncer-teachers and became “rulers” of a Catholic religious domain newly separate from caste society. The paper explores the social significance of assertions of church authority as well as the intersection of conflicts between competing missionary organisations with local status disputes and low caste social mobility. It suggests that these provide a window through which to observe fundamental changes in popular religion and caste society in colonial and post colonial times. Depuis la fin du xviie siècle, les lieux de cultes chrétiens et les centres religieux établis sous l’autorité de la Mission jésuite dans l’Inde du Sud tamoule, ont été incorporés dans des systèmes locaux de patronage politique et de donations religieuses. En particulier, par le biais des « honneurs cérémoniels », ils ont servi le même but que les temples hindous locaux en étendant et en légitimant l’autorité des dirigeants et des chefs de village, puis en intégrant les espaces de pouvoir hautement diffus du contrôle politique caractéristique de l’État précolonial dans le pays tamoul. L’article décrit la structure détaillée d’un culte de ce type – celui de St. James (Cantiyakappa) dans le village d’Alapuram. De la même façon qu’ils articulent la dominance politique locale, les « honneurs cérémoniels » à l’occasion de ce culte ont fourni le maître langage à propos du rang de la caste et de la préséance dans une communauté religieuse plurielle. En outre, situés au centre du discours de la caste et du pouvoir, les « honneurs cérémoniels » sont aussi devenus le cadre institutionnel le plus important pour contester et négocier le rang de la caste et la position sociale. Le modèle changeant de tels conflits s’est établi au cours des xixe et xxe siècles. Pendant ce temps, la condition des prêtres missionnaires a changé. Sous le gouvernement colonial, les missionnaires jésuites ont acquis une autorité nouvelle, ils ont cessé d’être des professeurs renonçants et sont devenus les « dirigeants » d’un domaine catholique religieux nouvellement séparé de la société de castes. Ce texte examine tant la signification sociale des revendications de l’autorité ecclésiale, que le recoupement des conflits entre organisations missionnaires concurrentes avec les querelles de statut local et la mobilité sociale des basses castes. Ainsi nous est offerte une fenêtre à travers laquelle s’observent des changements fondamentaux à l’intérieur de la religion populaire et de la société de caste durant la période coloniale et post-coloniale.

J’ai abordé en 2011 la rédaction de mon rapport de synthèse d’habilitation à diriger des recherches en histoire, avec intérêt, certes, mais, comme beaucoup de mes pairs soumis aux mêmes obligations, sans enthousiasme excessif. Non que m’échappât son intérêt d’un point de vue personnel : les occasions de s’expliquer sur son itinéraire intellectuel et professionnel ne sont pas si fréquentes dans une vie de chercheur ordinaire pour qu’on les dédaigne quand elles se présentent, et l’historien, qu...

La parution en 2011 du dernier tome des Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, xixe-xxe siècles, plus connus sous le nom de « Matériaux Boulard », presque vingt ans après les trois précédents (parus en 1982, 1987 et 1992), incite à revenir sur cette vaste entreprise scientifique qui s’achève et sur le « moment Boulard » dont elle est un produit. Elle fournit, de prime abord, l’occasion d’un double constat. Le premier est que l’on connaît finalement assez mal son « h...

Jean Delumeau, qui a occupé pendant vingt ans la chaire d’histoire des mentalités religieuses de l’Occident moderne au Collège de France, était dans les années 1970-1980 un des représentants les plus en vue de l’histoire dite des « mentalités ». Ses thèses sur le péché et la peur ont rencontré un vaste écho et contribué à le faire connaître bien au-delà du seul milieu des historiens professionnels et des étudiants. Rançon du succès : cette image d’historien de la peur lui est souvent restée, ...

Mon travail a emprunté, depuis, plusieurs directions, les unes dues aux sollicitations de la recherche et de l’enseignement (colloques, sujets de cours et de concours), les autres répondant à des motivations plus personnelles. Il me semble, en dépit de cette dispersion inévitable, que l’ensemble présente cependant une certaine unité qui tient moins à la qualité de son pilotage intellectuel (tout aussi approximatif et artisanal qu’un autre, j’en ai peur) qu’au fait que l’on retrouve dans la pl...

Au moins deux entreprises collectives ont tenté récemment de faire le point sur l’état de l’histoire religieuse contemporaine en France, ce qui peut probablement être interprété comme le signe que la discipline cherche un nouveau souffle : la première, dirigée par Nathalie Viet-Depaule, Tangi Cavalin et Éric Belouet, pour les éditions Karthala, sous forme d’entretiens avec des chercheurs de générations différentes, et la seconde par Christian Sorrel et Bruno Dumons, chez Desclée de Brouwer, q...

Je suis venu à ce qui allait devenir mon sujet de thèse par une question, que je formulais à peu près de la manière suivante, si j’en juge par mon mémoire de DEA ressorti des limbes pour l’occasion : comment se faisait-il que, alors que jusqu’à une date récente la prédication des « fins dernières » (en bonne théologie : la mort, le jugement particulier, le paradis et l’enfer) occupait dans le catholicisme une place centrale et constituait, pour ainsi dire, le sommet de la vie spirituelle, le ...

La parution en 2013 du second tome de La fable mystique de Michel de Certeau n’est pas passée inaperçue dans le monde médiatique, académique et religieux. Il est vrai qu’à force de ne pas venir après avoir été précocement annoncé, le livre avait fini par devenir un peu mythique parmi les spécialistes d’histoire religieuse qui s’intéressent à ces questions. L’écho a été d’autant plus grand qu’au même moment le pape François, premier pape jésuite de l’histoire, rendait à son auteur un hommage i...

Le frontispice qui, de 1954 à 1973, ornait les premières éditions de De la connaissance historique d’Henri Marrou représentait un paysage montagneux, symbolique et japonisant, dominé par des nuées et traversé par des cascades. Sur celles-ci figurent des noms d’auteurs qui ont marqué la réflexion philosophique sur l’histoire. L’image a parfois suscité des commentaires ironiques de la part de certains lecteurs critiques de Marrou qui ont fait mine de s’étonner qu’on eût besoin, comme historien,...

Pour qui veut acquérir, au prix d’un effort raisonnable, une vue, à la fois synthétique et panoramique, de l’ampleur de la mutation culturelle et religieuse survenue dans notre société au cours des dernières décennies, rien ne vaut, à mon avis, une promenade dans les rayons « librairie » d’un de nos grands magasins de produits culturels de consommation courante, type Fnac ou Virgin. Cette petite expérience de sociologie au noir vous en apprend plus sur le monde tel qu’il va et sur vous-même (...

L’ampleur de la rupture religieuse des années 1965-1980 me paraît être, pour l’avenir, le fait majeur à expliquer, celui qui relativise tous les autres, plus que le concile Vatican II dont on commémore le cinquantenaire de l’ouverture et qui a fait l’objet, ces dernières années, de nombreux travaux. Mon intérêt pour le xxe siècle, alors que le xixe reste le centre de gravité de mes recherches, est en grande partie lié à ce problème et à une espèce d’hésitation chez moi, ou un double sentiment...

Philippe Boutry, dans un article marquant sur Michel de Certeau, a écrit que la publication en 1970 de La Possession de Loudun avait marqué l’acte de naissance de ce qu’il proposait d’appeler l’« histoire des croyances ». Je reprendrais volontiers à mon compte cette expression, même si les livres de Certeau eux-mêmes sont à peu près inimitables. L’ambition n’a rien en soi de très nouveau : il était déjà amplement question, dans les années 1970, dans les milieux de l’histoire religieuse, sous ...

Comme un certain nombre d’historiens et d’historiennes de ma génération, j’ai un goût particulier pour l’historiographie, qui se traduit notamment par un travail, assez suivi et chronophage, de rédaction de comptes rendus et de bulletins critiques dans divers endroits, comme la Revue d’histoire de l’Église de France, Vingtième Siècle, la Revue d’histoire du xixe siècle, la Revue historique, la Revue d’histoire de l’éducation, etc. J’ai ainsi suivi d’assez près ces dernières années pour le com...

Le sujet de mon mémoire inédit d’habilitation est né de ma thèse, puisque j’ai pratiquement découvert l’existence du spiritisme à ce moment-là, dans les archives romaines, quand je me suis aperçu qu’au Saint-Office (aujourd’hui Congrégation pour la doctrine de la foi) on avait pris la menace très au sérieux, au point de diligenter en 1864 dans tous les diocèses de France, par l’entremise de Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, une enquête sur le sujet, dont le rapport de synthèse se trouvait ...

En avril 1984, l’écrivain Philippe Muray (1945-2006) publiait chez Denoël, dans une collection dirigée par Philippe Sollers, un gros livre de plus de 600 pages intitulé Le xixe siècle à travers les âges qui fit forte impression. L’ouvrage est considéré depuis par les commentateurs de Muray comme son maître livre ou, du moins, celui dans lequel il a trouvé son style et sa véritable personnalité littéraire. Romancier et chroniqueur à l’humour corrosif, il s’est orienté par la suite, dans les an...

En 1996, Claude Langlois a publié dans les Archives de sciences sociales des religions une « note critique » élogieuse sur le livre de Jacques Maître, Thérèse de Lisieux. L’orpheline de la Bérésina. L’ouvrage, rédigé par un auteur qui venait, au départ, d’une sociologie du baptême et du clergé assez classique, se présentait comme un « essai de psychanalyse socio-historique » et prenait place à l’intérieur d’un ensemble de travaux sur la mystique féminine au tournant des xixe et xxe siècles. Q...

La philosophie de Nicolas de Cues est tout entière traversée par une tension : celle qui existe entre la reconnaissance du pouvoir créateur autonome de l’esprit humain qui ouvre devant lui un champ indéfini d’activités, et l’affirmation simultanée d’une récapitulation, d’une totalisation par avance de tout le créé en Dieu. Cette situation paradoxale confronte un esprit humain qui tend à « s’autonomiser » et un Dieu infini qui ne laisse pas d’autre en dehors de lui. Cette situation requiert un...