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Ces bons messieurs nous persuadent que nous menons une vie paradisiaque sous leur domination. C’est en vain que nous nous époumonons pour leur faire comprendre que nous avons mangé de l’arbre de la connaissance et que nous ne sommes plus dignes du paradis. Tel l’ange au paradis, l’homme brandit l’épée flamboyante, mais ce chérubin ne veut pas nous chasser du paradis. C’est pour nous y retenir de force ! Hedwig Dohm, qui dès 1872 se moquait de l’Éden en revendiquant un exode volontaire hors du...

L’occultisme comme courant de pensée est né sur les ruines des guerres révolutionnaires et impériales. Il a fait entendre sa voix en contre-chant de celle de la Restauration dans le premier tiers du xixe siècle et au-delà jusqu’à la Première Guerre mondiale. Les premiers tenants des « sciences occultes », s’étaient attachés à jeter les bases d’une épistémologie nouvelle, partagés entre des certitudes contradictoires : le constat des ruptures irréversibles engendrées par les Lumières d’une par...

L’enfant coupable est celui qui, comme tous les humains, participe, par le seul fait de naître, à une faute collective, le péché originel, qui l’écarte de la vie éternelle s’il n’a pas reçu le baptême salvateur. L’enfant innocent est celui qui n’accédera pas à la vie terrestre, par cause d’avortement, thématique que Jean-Paul II a largement développé, notamment dans Evangelium vitae. En opposant ces deux figures résultant du discours produit par l’appareil ecclésiastique, je souhaite mettre e...

Le péché originel est-il un objet d’étude pour l’historien ? On peut en douter si on se fie à la bibliographie où dominent surtout des travaux de théologiens, et aussi de philosophes. Pourtant, il s’agit d’un dogme clé du christianisme qui intéresse l’historien : outre que s’y fixe une bonne partie de la pratique sacramentelle, il met en jeu une conception de l’humanité dont découle une conception de la société et de l’ordre social, du mal, de la souffrance, de la liberté, de l’homme et de la...

En 1794 paraît un opuscule de 110 pages, au titre provocateur et déroutant. La référence à l’Être suprême dans le titre complet peut être une évocation du nouveau culte comme du Créateur impersonnel des philosophes du xviiie siècle. Le texte est une attaque violente contre le clergé, les théologiens, les dogmes de l’Église catholique et leur « fanatisme », en particulier celui du péché originel. Composé de neuf lettres d’inégale ampleur (la 1ère fait 18 pages, la 7ème huit seulement) à un ami...

Gérard-Henry Baudry écrit à propos du péché originel dans un des ouvrages qu’il a consacrés à Pierre Teilhard de Chardin : « Toute sa vie, Teilhard fut hanté par ce problème », qu’on le soupçonnait, bien à tort, d’avoir évacué de sa conception du christianisme mais dont il n’acceptait pas la représentation traditionnelle qui avait encore cours de son vivant. Il écrivait en 1933 en Chine : « Lorsqu’on cherche à vivre et à penser, de toute son âme moderne, le Christianisme, les premières résist...

La catéchèse dispensée par les missionnaires catholiques du xixe et xxe siècles demeure un champ de recherche encore peu exploré. Rares sont les régions qui ont donné lieu à une étude méthodique des catéchismes et des moyens mobilisés à l’exception du Canada. Faute d’une vue d’ensemble, les essais de synthèse consistent le plus souvent à rassembler des études de cas sans parvenir à proposer une synthèse jugée prématurée. La difficulté augmente encore quand le chercheur tente de cerner comment...

L’historien Charles Mercier a récemment étudié « Le vocabulaire enfantin de la laïcité » à partir d’une enquête auprès d’écoliers bordelais. Telle pourrait être la perspective de cette enquête : comment expliquer le péché originel « en mots très simples » selon le titre même d’un catéchisme pour enfants présenté plus loin. Le contexte sanitaire oblige à aller au plus immédiatement disponible, en l’occurrence une documentation personnelle constituée depuis plus d’une vingtaine d’années. Ses de...

Drôle de siècle, ce dix-neuvième de l’ère chrétienne. Lieu de persistance d’un ancien régime qui traverse les époques, mais aussi berceau qui a enfanté les modernités de toute provenance ; longue époque postrévolutionnaire qui était hantée par la Révolution, mais aussi ère de progrès qui voulait chasser les spectres du passé. Si bien qu’un critique croustillant par son style et cinglant par sa méthode a pu y retrouver les origines de l’occultisme en tant que forme du progressisme, le réceptac...

Pour les philosophes la question est entendue. Qu’ils soient athées ou déistes, l’idée de péché originel est systématiquement et continuellement combattue. Voltaire n’a cessé de se moquer du péché d’Adam. Le premier chapitre de Candide est une parodie du péché originel : pour avoir été surpris derrière un paravent en compagnie de Cunégonde avec laquelle il se livrait à des jeux amoureux, Candide est chassé du paradis terrestre par le baron de Thunder-Ten-Tronck, à grands coups de pied dans le...

Alors qu’elle cherche à défendre la religion chrétienne, la théologienne protestante Marie Huber (1695-1753) ne parle presque pas du péché originel. Elle l’admet, mais considère que c’est une idée incompréhensible. Son principe d’un Dieu bon qui ne peut que vouloir le bonheur de ses créatures rend difficilement pensable le péché originel, en un temps où la notion de châtiment éternel est vigoureusement contestée. Elle propose un christianisme non-augustinien, où une place nouvelle est reconnue à l’homme, mais où le péché originel est effacé. While seeking to defend the Christian religion, the Protestant theologian Marie Huber (1695-1753) hardly speaks of original sin. She admits it, but considers it an incomprehensible idea. Her principle of a good God who can only want the happiness of his creatures makes it difficult to think of original sin, in a time when the notion of eternal punishment is vigorously contested. She proposes a non-augustinian Christianity, where a new place is given to man, but where the original sin is erased.

Le questionnaire adressé en 1966 aux conférences épiscopales par le pro-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi Ottaviani sur les « opinions étranges et audacieuses » intègre la question du péché originel. Celle-ci pose problème depuis longtemps déjà à de nombreux théologiens que le pape Paul VI invite à défendre la doctrine traditionnelle lors d’un symposium romain en juillet de la même année. Le dossier de préparation de la réponse de la conférence épiscopale française confirme le malaise. Mais la réponse officielle reste en retrait pour ne pas compromettre les fruits du concile Vatican II. Les conférences de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Suisse et du Canada accordent peu de place à la question. Il n’en est pas de même pour celles de la Belgique et des Pays-Bas qui prennent leurs distances avec la thèse romaine. Cela n’empêche pas le pape de réaffirmer le dogme du péché originel dans son Credo de juin 1968. The questionnaire sent in 1966 to the bishops' conferences by the pro-prefect of the Congregation for the Doctrine of the Faith, Ottaviani, on "strange and daring opinions" included the question of original sin. This had long posed a problem for many theologians, whom Pope Paul VI invited to defend traditional doctrine at a symposium in Rome in July of that year. The dossier preparing the response from the French Episcopal Conference confirmed the unease. But the official response remained on the sidelines so as not to compromise the fruits of the Second Vatican Council. The conferences of Germany, Italy, Spain, Switzerland and Canada devoted little attention to the question. The same cannot be said of the Belgian and Dutch conferences, which distance themselves from the Roman thesis. This did not prevent the Pope from reaffirming the dogma of original sin in his Credo of June 1968.

Il convient tout d’abord de remercier et de féliciter les deux organisateurs de cette rencontre scientifique, Frédéric Meyer et Sylvain Milbach, pour une initiative qui ouvre les analyses et les problématiques du péché originel à une historicisation et à une contextualisation de leur objet dans un passé récent, la fin de l’âge moderne et le xixe siècle. Dans la masse, assez considérable, des études et des publications qui se sont multipliées depuis la fin des années 1950 afin de reconsidérer ...

Dans le processus pluriséculaire et encore inachevé de déprise des sociétés occidentales de leur conformation chrétienne, la péremption de la croyance au péché originel a été évidemment un élément essentiel. Le fait a été justement souligné par Bernard Gröthuysen (1880-1946) dans sa grande étude consacrée aux Origines de l’esprit bourgeois en France (1927-1930). Gröthuysen signale ainsi qu’à la fin du xviiie siècle, « le pécheur se meurt – je parle du pécheur classique, du pécheur intégral – ...

Le péché originel qui joue dans l’histoire du christianisme la partition de la basse continue, est-il un objet d’étude pour l’historien ? On peut en douter si on se fie à la bibliographie où dominent surtout des travaux de théologiens, et aussi de philosophes. Pourtant, il s’agit d’un dogme clé du christianisme qui intéresse l’historien : outre que s’y fixe une bonne partie de la pratique sacramentelle, il met en jeu une conception de l’humanité dont découle une conception de la société et de l’ordre social, du mal, de la souffrance, de la liberté, de l’homme et de la femme. C’est entre le xviiie et la fin du xixe siècle que le dogme essuie les critiques les plus radicales et que le débat sur le péché originel change de statut : il n’est plus seulement l’objet de polémiques doctrinales confessionnelles entre catholiques et protestants. Le dogme soulève de plus en plus de répugnances et d’incompréhension : dans l’opinion savante, convoquant les nouveaux savoirs sur l’homme et sur la nature, le péché originel passe du statut « ce n’est pas possible » à celui où « ce n’est plus possible ». L’apologétique catholique a eu fort à faire pour défendre le dogme. La coïncidence entre le lent épuisement de sa signification socialement reconnue et l’avènement de la société « d’opinions » ne saurait se réduire au processus caricatural d’effacement d’une « légende ». La critique, outre l’historicité du récit de la Chute, touche plus largement à la dimension anthropologique du dogme (la nature du mal) et à ses conséquences en termes civilisationnels (la notion de progrès). Ces deux plans sont intimement dépendants et affectent à terme les comportements, les représentations de l’humanité et de la société. La perte de crédit du péché originel ou ses réinterprétations ont favorisé la thèse du royaume de Dieu possible sur terre, et ont légitimé un droit au bonheur et à l’égalité. Il est alors question d’une vraie révolution anthropologique qui devait précéder une reconfiguration de la cité des hommes. Baudelaire n’écrivait-il pas : « Théorie de la vraie civilisation. Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel » ? Is original sin, which plays the basso continuo in the history of Christianity, an object of study for the historian? This is doubtful, given the bibliography, which is dominated by works by theologians and philosophers. However, it is a key dogma of Christianity that is of interest to the historian: in addition to the fact that a large part of sacramental practice is based on it, it brings into play a conception of humanity from which stems a conception of society and the social order, of evil, of suffering, of freedom, of men and women. It was between the eighteenth and late nineteenth centuries that the dogma came under the most radical criticism and that the debate on original sin changed its status: it was no longer simply the subject of doctrinal polemics between Catholics and Protestants. The dogma increasingly aroused repugnance and incomprehension: in scholarly opinion, drawing on new knowledge about man and nature, original sin went from being "not possible" to "no longer possible". Catholic apologetics had its work cut out defending the dogma. The coincidence between the slow exhaustion of its socially recognised meaning and the advent of a society of "opinions" cannot be reduced to the caricatural process of erasing a "legend". In addition to the historicity of the story of the Fall, the criticism also touches on the anthropological dimension of the dogma (the nature of evil) and its consequences in civilisational terms (the notion of progress). These two aspects are intimately linked and ultimately affect behaviour and the way humanity and society are represented.The loss of credit for original sin or its reinterpretations have favoured the thesis that the kingdom of God is possible on earth, and have legitimised a right to happiness and equality. We are talking about a genuine anthropological revolution that should precede a reconfiguration of the city of man. Didn't Baudelaire write: "Theory of true civilisation. It does not lie in gas, steam or turntables; it lies in reducing the traces of original sin"?

Le péché originel ! Heureusement qu’il existe des littéraires et des historiens pour oser encore l’évoquer ! Car, du côté des théologiens, la cause semble entendue : s’il subsiste dans le Catéchisme de l’Église catholique (1992) et dans le corpus doctrinal de l’orthodoxie, sa présence dans la catéchèse et dans la prédication est devenue discrète, son actualité, peu significative, et son argumentaire, presque silencieux. Et, sur le versant protestant, le serf arbitre selon Luther ne fait plus ...

Ténor de l’apologétique catholique du xviiie siècle, l’abbé Nicolas-Sylvestre Bergier (1718-1790) a lu avec soin les écrits des philosophes des Lumières, notamment Rousseau, d’Holbach, Voltaire qu’il s’efforce de réfuter point par point. De cette fréquentation assidue il a retiré la conviction que la doctrine rigoriste du salut professée par l’Église de son temps constitue un obstacle majeur à la défense de la religion. À l’abbé Trouillet il confie dans une lettre : « Tout système d’incréduli...

Les travaux sur les catéchismes français de l’époque moderne ne sont pas très nombreux. Le chanoine Hézard leur avait consacré la troisième partie de son étude. Mettant en évidence la circulation de modèles qui inspiraient les évêques lorsqu’ils décidaient la publication d’un nouveau manuel pour leur diocèse, il suggérait une ébauche de généalogie des catéchismes diocésains. À ma connaissance, cette tentative n’a trouvé de prolongation que dans le très précieux catalogue issu des enquêtes con...

Les élites libérales du xixe siècle ont partagé les préventions contre le péché originel qu’elles recevaient en héritage du siècle précédent : le récit paraissait peu crédible, le dogme et la tradition soulevaient de puissantes objections morales. Le xixe siècle n’a pas vraiment enrichi le socle critique, mais il l’a nourri, spécialement avec l’appui des sciences nouvelles. Le clergé avait conscience des difficultés « culturelles » que le dogme soulevait. Pour le P. Monsabré, « cette doctrine...

La relation qu’entretiennent depuis plusieurs siècles l’Église et l’État en Angleterre constitue certainement l’une de choses les plus difficiles à comprendre pour un Français. En règle générale, le seul élément connu dans ce pays sur l’anglicanisme est que la reine, ou le roi, en est le chef ; ce qui ne rend qu’encore plus incompréhensible le fonctionnement de cette confession, tant il paraît paradoxal qu’un souverain constitutionnel, régnant mais ne gouvernant pas, puisse diriger une Église...

En ce 21 juillet 1873, les débats du jour à la Chambre des lords s’apprêtent à reprendre, après l’interruption d’un week-end, quand Charles Gordon-Lennox, 6e duc de Richmond, chef de l’opposition conservatrice, se lève et, d’une voix que l’on imagine empreinte d’émotion, annonce à ses collègues : « Je ne peux m’empêcher de faire allusion à la très grande perte qu’a subie cette chambre, ainsi que le pays, depuis notre dernière séance. Nous avons perdu deux de nos membres les plus remarquables,...

Cet ouvrage présente au public francophone la figure de Samuel Wilberforce, et porte à sa connaissance la vitalité de l’anglicanisme victorien dont il fut une figure si importante comme évêque d’Oxford puis de Winchester (1845-1873). Au début du xixe siècle, l’Église d’Angleterre (ou Église anglicane) court le risque de devenir tout à fait obsolète. Rejetée par beaucoup comme un simple organe étatique, apparemment privée de toute énergie et de toute capacité à se réinventer par les mouvements de réveil religieux du siècle précédent, elle paraît également incapable de s’adapter au nouveau contexte philosophique et socio-économique de la révolution industrielle. Toutefois, à partir des années 1840, l’Église d’Angleterre réinvestit son rôle pastoral et spirituel afin de rester fidèle à sa fonction proverbiale et traditionnelle d’Église de la Nation. On le verra, ce n’est pas un hasard si l’épiscopat de Samuel Wilberforce coïncide avec cette évolution spectaculaire de son Église. Même 150 ans après sa mort, la vie et l’œuvre de Samuel Wilberforce ont beaucoup à nous apprendre concernant la place des Églises dans la Cité, ou la relation entre foi et science.

Le nom qui figure sur la couverture de ce livre est certainement inconnu de la grande majorité des Français. Il faut aussi reconnaître, pour faire bonne mesure, que la plupart des Britanniques de ce début du xxie siècle seraient bien en peine de dire qui était Samuel Wilberforce (1805-1873). Évêque anglican d’Oxford de 1845 à 1869, fils du grand abolitionniste britannique William Wilberforce (1759-1833), il est néanmoins resté dans les mémoires de certains comme l’évêque qui aurait demandé à ...

Pendant les deux années et plus que dura la rédaction de cet ouvrage, son auteur a eu le plaisir de lire deux biographies extrêmement fouillées, minutieuses et documentées sur deux géants de l’histoire britannique moderne : le cardinal John Henry Newman et Sir Winston Churchill. Ces deux biographies, par leur exhaustivité – chacune d’entre elles fait plus de 750 pages – n’ont pas été à proprement parler des modèles, mais ont néanmoins été riches d’enseignements et de réflexions. Sans aller ju...

Le diocèse d’Oxford, en 1845, occupait un territoire essentiellement rural dont les seules grandes villes étaient Reading et Oxford, qui comptaient en 1841 respectivement 18 937 et 24 258 habitants. Fondé sous Henri VIII en 1542, il ne s’agissait pas d’un siège particulièrement prestigieux, et ne couvrait à l’origine que l’Oxfordshire. Son statut avait été quelque peu rehaussé à partir de 1836 lorsque la décision fut prise par la Couronne, dans le cadre d’un redécoupage général des diocèses d...

En une quinzaine d’années, S. Wilberforce allait passer de jeune diacre en poste dans un village anglais à évêque et pair du royaume, ce qui le rendit rapidement suspect d’être animé par une ambition dévorante. Nous allons le voir dans ce chapitre occuper des responsabilités de plus en plus en vue et montrer déjà les qualités qu’il déploya ensuite comme évêque. Un prédicateur efficace et reconnu Samuel Wilberforce avait commencé à attirer l’attention sur lui rapidement après son ordination s...

Le 29 octobre 1845, le prince consort Albert écrivit une lettre à Samuel Wilberforce qui avait accepté sa nomination au siège d’Oxford quinze jours auparavant. Après six lignes où le prince expliquait qu’il avait hésité et atermoyé avant de rédiger ce courrier, il se mit en devoir de lui faire part de « [ses] conceptions sur la position qu’occupe un évêque à la Chambre des lords ». L’exposé de celles-ci commençait par ces mots : « Un évêque doit s’abstenir absolument de se mêler des questions...

Le nouvel évêque n’était pas un révolutionnaire et n’entendait pas bousculer son diocèse ni la fonction qu’il occupait. Il aura en revanche tout de suite à cœur d’affirmer son autorité, notamment vis-à-vis de ses anciens associés du mouvement tractarien. Il aura aussi à cœur d’investir pleinement son rôle de « père en Dieu » qu’il concevait comme étant au centre de son ministère épiscopal. Samuel Wilberforce au pays des tractariens Oxford – « cette douce cité aux flèches rêveuses » dont parl...

Bien loin d’apparaître comme une anomalie ou un franc-tireur, Samuel Wilberforce était pour ses contemporains l’exemple le plus visible de ce qu’on a pu appeler les « nouveaux évêques » (« new bishops »). Il acquit cette image par l’investissement qu’il montra comme pasteur de son diocèse, ainsi que par le rôle moteur qu’il prit parmi l’épiscopat de son Église, afin que celle-ci fasse entendre sa voix spécifique et originale. Un aggiornamento entre gentlemen S. Wilberforce n’était naturellem...

Le 24 juillet 1873, John Henry Newman écrivait dans un courrier privé : « Il y a quelque chose d’indiciblement triste dans l’image d’un homme qui s’en va, par un beau samedi, avec quelques amis, dans une jolie contrée, toutes choses autour de lui calmes et joyeuses et divines, et qui se retrouve soudain emporté dans les terribles ténèbres de l’autre monde. » C’est qu’en effet, cinq jours plus tôt, le 19 juillet 1873, Samuel Wilberforce était mort brutalement alors qu’il chevauchait en compagn...

Représenter l’Église à la fin du xviiie siècle : un problème théologique, canonique et historique Le 24 janvier 1789, le règlement donné par Louis XVI pour la convocation des États généraux marque l’entrée en Révolution des chapitres cathédraux. Tandis que le roi appelle aux assemblées du clergé « tous les bons & utiles Pasteurs qui s’occupent de près & journellement de l’indigence & de l’assistance du peuple », c’est-à-dire tous les curés, l’article x du règlement ne prévoit qu’une bien plu...

Le renouveau historiographique dont ont bénéficié les chapitres et les chanoines de l’époque moderne a été favorisé par le regain d’intérêt pour l’histoire des élites. Certes inférieurs aux évêques, les chanoines, particulièrement ceux des cathédrales, forment un moyen clergé, une élite intermédiaire entre l’épiscopat et le clergé paroissial. Malgré leur brutal et spectaculaire affaiblissement temporel et leur subordination à l’autorité épiscopale, les chanoines continuent après 1802 à former...

Sous l’Ancien Régime, les débats sur la dignité des chapitres ou des curés prennent place au sein d’un dispositif ecclésiastique dont la disparition n’a guère été envisagée. Or la Révolution de 1789 entraîne la rapide liquidation de l’Ancien Régime ecclésiastique. Dès le printemps 1789, la « révolte des curés », majoritaires aux assemblées bailliagères de l’ordre du clergé, entraîne l’éviction des oligarchies diocésaines que représentent évêques, chapitres et grands établissements religieux. ...

Au début du xixe siècle, le clergé forme une « administration comme les autres, non la mieux ordonnée et la mieux dotée ». Le nouveau statut des ecclésiastiques n’est pas seulement un inconvénient, puisque le fonctionnaire représente la promotion sociale par excellence. Cependant, la réorganisation concordataire, en perpétuant les traditions tridentines, place l’Église de France du xixe siècle dans la continuité de celle du xviiie siècle. Le double système normatif constitué par la fonction p...

Les titres de conseil-né de l’évêque et de sénat de l’Église que le concile de Trente reconnaît au chapitre de la cathédrale relient ce dernier au presbyterium ou presbytère de l’antiquité chrétienne. Dans le sillage des travaux d’Edmond Préclin sur les origines de la Constitution civile du clergé, la référence au presbytère à la fin du xviiie siècle a fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des historiens, tels Bernard Plongeron. Étudier les chapitres dans une perspective ecclésiologiq...

Le poids de l’Ancien Régime et de la Révolution Pendant la première moitié du xixe siècle, le poids de l’Ancien Régime et de la Révolution demeure extrêmement fort au sein des chapitres. Plus des deux tiers (71,03 %) des 397 chanoines concordataires du corpus ont en effet été confrontés comme ecclésiastiques à la division entre clergé assermenté et clergé insermenté. Le premier chanoine ordonné après 1801 n’est nommé qu’en 1818. Sous la Restauration, les prêtres d’Ancien Régime continuent à ...

Chapitres et évêques Bien qu’ils aient depuis longtemps perdu le droit de former le conseil canonique des évêques, les chapitres continuent à la fin de l’Ancien Régime à jouer un rôle important dans le gouvernement des diocèses en fournissant aux évêques la plupart de leurs grands vicaires et de leurs officiers. Le xixe siècle n’introduit sur ce point aucune rupture. Certes, rien n’oblige un évêque à associer ses chanoines à son gouvernement. Mais l’exclusion totale des membres du chapitre e...

La plasticité du canonicat concordataire permet de l’attribuer à différentes catégories d’ecclésiastiques. Il convient donc d’examiner la manière dont sont mis en œuvre les principes qui président aux nominations en entreprenant l’étude prosopographique des chanoines nommés aux douze cathédrales de l’échantillon entre 1802 et 1848. Recrutement canonial et démographie cléricale Le problème de l’âge des chanoines à la nomination revêt une importance particulière. Il permet d’évaluer la pertine...

Objets de controverses ecclésiologiques à la fin du xviiie siècle, les chapitres prennent également part entre 1788 et 1802 aux luttes religieuses révolutionnaires, qui affectent profondément leurs membres. Cette partie se propose d’examiner à la fois l’attitude des corps capitulaires et l’itinéraire des chanoines pendant la décennie révolutionnaire. Son objet est donc triple : il s’agit d’évaluer la contribution des chapitres aux affrontements politiques et religieux, de reconstituer le parc...

Pour souligner le rôle matriciel que le double traumatisme du schisme constitutionnel et de la persécution revêt pour le catholicisme du xixe siècle, Philippe Boutry a pu parler d’un véritable « moment réfractaire du clergé français », terreau du catholicisme intransigeant. Ce moment réfractaire est d’abord associé à l’épiscopat et au clergé paroissial astreints à la prestation du serment dit constitutionnel du 27 novembre 1790. Cependant, à défaut d’avoir été directement confrontés à la gran...

À la fin de l’Ancien Régime, les débats sur la nature et les prérogatives des chapitres cathédraux, nettement distingués des chapitres collégiaux, sont inséparables des interrogations à la fois historiques, doctrinales et canoniques sur le presbytère. Il s’agit d’une part de déterminer qui, du chapitre de la cathédrale ou du synode des curés, a succédé au presbytère de l’Église primitive, d’autre part de savoir si l’évêque est ou non tenu par les délibérations du presbytère. Ces débats prenne...

Lorsque le 2 novembre 1808, le chapitre de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, réorganisé depuis peu, se réunit sous la présidence de l’évêque Dominique Lacombe, le procès-verbal de la séance est symboliquement consigné dans le même registre, interrompu le 4 décembre 1790, dont se servait l’ancien chapitre cathédral dispersé en exécution de la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790. Cette volonté d’affirmer la continuité du chapitre malgré la césure révolutionnaire ne peut dissi...

Rupture brutale dans la vie des chapitres français, la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790 marque souvent le terme des études consacrées à l’histoire de l’ordo canonicus. L’ouvrage se propose au contraire d’examiner la reconstitution concordataire des chapitres de cathédrales jusqu’à l’extinction de l’ancien clergé au milieu du XIXe siècle. En effet, l’étude du clergé intermédiaire que forment les chapitres de chanoines permet de mieux saisir les évolutions de la société cléricale de la fin du système bénéficial d’Ancien Régime à l’âge des notables. Héritier du presbytère antique et sénat de l’Église diocésaine, investi de la juridiction épiscopale pendant la vacance du siège, le chapitre cathédral est un lieu ecclésiologique qui permet d’étudier les rapports entre évêques et prêtres, entre Église locale et Église universelle, tandis que les chanoines du Concordat continuent, malgré leur subordination à l’autorité épiscopale, à former une élite intermédiaire intégrée à un nouveau régime de notabilité cléricale.

Pour évoquer l’appauvrissement de la réflexion ecclésiologique en France à l’issue de la crise révolutionnaire, Bernard Plongeron a pu parler d’une « grève concordataire » de la pensée théologique. Après la dissertation très érudite composée, probablement à la veille du Concordat, par Mgr de La Luzerne, évêque de Langres, qui tranche le débat en faveur du chapitre, mais surtout de la pleine liberté de l’évêque dans l’exercice de son pouvoir de gouvernement, conçu sur un modèle monarchique, la...