Les fonds publics d'investissement stratégique constituent une catégorie particulière de fonds d'investissement. D'une part, ils sont contrôlés par des entités publiques (Etat, collectivités territoriales ou autres organismes publics). D'autre part, ils sont investis d'une mission spécifique d'investissement dans des entreprises susceptibles de stimuler la compétitivité des économies nationales dans lesquelles ils interviennent. Les fonds publics d'investissement stratégique incarnent, ce faisant, une forme de renouvellement de l'action des Etats en matière de politique industrielle. En France, le modèle des fonds de ce type est le Fonds stratégique d'investissement (FSI) qui s'est fondu dans la Banque publique d'investissement (BPI). Il était constitué sous la forme d'une société anonyme détenue par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à hauteur de 51% et par l'Etat à hauteur de 49%. Le FSI est à la fois l'emblème et l'instrument d'un renouvellement de la politique industrielle de la France. Cette politique se différencie des modes d'intervention traditionnels de l'Etat dans l'économie. Elle participe de l'inflexion marquant le passage d'un Etat entrepreneur et ordonnateur à un " Etat stratège ". Il s'ensuit que si cette politique passe bien par des investissements publics dans les entreprises, elle n'en constitue pas moins une rupture avec les pratiques anciennes de contrôle pur et simple exercé par les pouvoirs publics sur les entreprises et de restructurations imposées des groupes français (politique parfois désignée sous l'expression de " mécano industriel "). L'action de l'Etat évolue : à la figure de la dépendance et de la tutelle se substitue une intervention banalisée dans sa forme. L'Etat intervient comme un actionnaire qui s'implique dans la gouvernance des sociétés dans lesquelles il détient des participations et qui veille à la préservation de ses intérêts patrimoniaux. La création de l'Agence des participations de l'Etat témoigne de façon exemplaire de cette évolution. Mais il convient de souligner que la création du FSI s'inscrit dans une autre logique que celle d'une gestion rationalisée des participations publiques dans le capital des entreprises demeurant publiques ou issues du secteur public. La spécificité de la politique d'investissement du FSI ne place pas a priori les investissements ainsi réalisés en dehors du champ du contrôle des institutions de l'Union européennes sur les aides d'Etat. Les concours financiers émanant directement ou indirectement de l'Etat, des collectivités publiques et des organismes qu'ils instituent, sont en effet susceptibles d'être considérés comme des mesures publiques pouvant créer des distorsions sur le marché européen. Le caractère potentiellement perturbateur des aides publiques aux entreprises a été identifié très tôt et le Traité de Rome de 1957 instituant la Communautaire économique européenne comportait déjà des dispositions déclarant en principe les aides d'Etat incompatibles avec le marché commun, et n'admettant des dérogations au principe de prohibitions des aides d'Etat que sous le contrôle de la Commission, et dans des conditions prévues par le Traité (articles 92 et suivants du Traité instituant la CEE de 1957). Ces dispositions ont été reprises dans le Traité CE aux articles 87 et suivants et enfin dans le TFUE aux articles 107 et suivants. Les fonds publics d'investissement stratégique comme le FSI se trouvent ainsi placés sous la contrainte tout à fait spécifique que fait peser le contrôle européen des aides d'Etat. Le cadre juridique applicable aux fonds d'investissement s'étend donc à cette branche typiquement européenne du droit de la concurrence, dès lors que les fonds sont l'émanation des pouvoirs publics, disposent de ressources d'origine publique et qu'ils apportent leurs concours à des entreprises déterminées. C'est précisément cette question qui a été posée lorsque le FSI a investi, par l'intermédiaire du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA), dans la société Trèves, un sous-traitant du secteur automobile. La Commission européenne a soupçonné que cet investissement puisse constituer une aide d'Etat, avant de conclure dans sa décision du 20 avril 2011, qu'en l'espèce, les mesures en cause ne constituaient pas des aides d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Il importe donc de situer l'emprise exercée par le droit européen des aides d'Etat sur la politique des fonds publics d'investissement stratégique, entre deux situations extrêmes, à savoir une présomption irréfragable de licéité des investissements réalisés dans des entreprises par des fonds d'investissement publics et une interdiction inconditionnelle de toute participation des fonds publics au financement des entreprises. Plus précisément, il y a lieu de déterminer dans quelle mesure le droit européen des aides d'Etat est applicable aux fonds d'investissement publics à visée stratégique et dans quelle mesure leur action est soumise au contrôle de la Commission européenne au titre des aides d'Etat. La confrontation de la politique du FSI au contrôle européen des aides d'Etat s'inscrit dans la problématique plus générale des contraintes que fait peser l'Union européenne sur les politiques économiques nationales. La question est donc de savoir si la politique industrielle n'est pas elle-même étroitement limitée par le cadre européen. A cela s'ajoute le fait que l'on a pu considérer que c'était en réalité toutes les interventions des Etats actionnaires qui se trouvaient frappées de suspicion de la part des autorités européennes, comme l'a montré notamment la jurisprudence de la Cour européenne globalement hostile aux golden shares et ce, alors même que le Traité pose le principe de la neutralité du droit européen par rapport à la propriété privée ou publique des entreprises. D'un autre côté, la crise actuelle appelle une intervention des puissances publiques et l'action des fonds publics d'investissement stratégique peut apparaître comme une réponse prometteuse aux défis du moment. Les institutions européennes n'ont d'ailleurs pas manqué de réviser leur doctrine à l'égard des différentes politiques économiques et des interventions publiques décidées pour faire face à la crise. C'est dans ce contexte que se pose la question de savoir si, et dans quelle mesure, les investissements publics réalisés par l'intermédiaires des fonds stratégiques peuvent échapper à la prohibition des aides d'Etats. La question de la confrontation de l'action des fonds publics d'investissement stratégique et du droit européen des aides d'Etat se cristallise sur la notion d' " investisseur normal en économie de marché ". Elle définit, du point de vue du droit européen, les limites dans lesquelles la nouvelle politique industrielle des Etats peut se déployer (I) et appelle une évaluation économique de la légitimité de cette contrainte sur la politique conduite à travers cette forme particulière de fonds d'investissement (II).