Les Minutes de Sable Mémorial d’Alfred Jarry, recueil de textes publié en 1894 aux éditions du Mercure de France, s’ouvrent sur une préface qui nie la valeur de tout commentaire d’auteur : « Il est stupide de commenter soi-même l’œuvre écrite ». Or, le rôle de la préface, mis en cause par Jarry, est assumé par la matérialité du livre et sa construction éditoriale. Les éléments matériels et visuels, ajoutés aux textes et opposés au régime textuel (reliure, gravures, typographie, mise en page), sont de véritables outils critiques qui se substituent à la critique verbale pour placer le lecteur dans la posture herméneutique souhaitée.Les Minutes de Sable Mémorial se présentent en effet comme une série de préfaces textuelles et visuelles qui élaborent une herméneutique et un art de la mémoire spécifiques. Le livre même est construit comme un palais de la mémoire, qui vise à synthétiser « le plus du nécessaire », c’est-à-dire à retrouver la nécessité qui lie les mots et les choses, par la matérialité du livre et par l’image. Ces éléments permettent à Jarry de faire table rase des systèmes et codes préalables en plongeant le lecteur dans une obscurité herméneutique, puis d’éclairer cette obscurité et de faire revoir les éléments nécessaires du texte, grâce aux jalons que sont les images. Ainsi s’explique la posture provocatrice de la préface. Celle-ci ne commente pas la manière dont il faut lire et comprendre le texte : c’est le livre tout entier, sa matérialité, sa typographie et les éléments visuels, qui devient un commentaire de lui-même, et élabore la manière dont « il n’y qu’à regarder ».