Olivier Favereau, Lucien Karpik, Emmanuel Lazega, Franck Bessis, Christian Bessy, Camille Chaserant, Sophie Harnay, EconomiX, Université Paris Nanterre (UPN)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), MINES ParisTech - École nationale supérieure des mines de Paris, Université Paris sciences et lettres (PSL), Centre de sociologie des organisations (CSO), Sciences Po (Sciences Po)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Laboratoire d'Economie de la Firme et des Institutions (LEFI), Université Lumière - Lyon 2 (UL2), Institutions et Dynamiques Historiques de l'Economie (IDHE), École normale supérieure - Cachan (ENS Cachan)-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UP1)-Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (UP8)-Université Paris Nanterre (UPN)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Conseil National des Barreaux, Centre de sociologie des organisations (Sciences Po, CNRS) (CSO), and Mines Paris - PSL (École nationale supérieure des mines de Paris)
Le rapport qui suit est le fruit d’un an de recherche collective sur les conséquences économiques de la libéralisation du marché des services juridiques. Les matériaux qui ont servi à la construction de ce rapport sont de trois types : (i) un examen critique des arguments et des données mobilisés par les rapports de la Commission et diverses études concluant à l’opportunité de cette libéralisation ; (ii) un travail théorique interdisciplinaire entre économistes institutionnalistes et spécialistes de sociologie économique sur, d’une part, la logique de fonctionnement de la profession d’avocat en France, d’autre part, la notion de qualité appliquée aux différents registres de la prestation d’un avocat ; (iii) vingt-quatre entretiens semi-directifs d’une durée de 2 à 3 heures dans des cabinets d’avocats (Paris / province, en : droit social, droit de la famille, droit des affaires (notamment droit de la distribution, et droit des fusions acquisitions)), plus 3 entretiens ouverts avec des collaborateurs ; les 24 entretiens semi-directifs ont été intégralement transcrits (soit un volume de 700 pages) et les 3 entretiens ouverts ont fait l’objet d’une note synthétique. Ces différents matériaux ont été utilisés de façon séquentielle et cependant interactive. En effet les matériaux de type (i) ont débouché sur la nécessité d’une investigation de la notion de qualité, au centre du type (ii), ce qui a structuré le questionnaire utilisé pour le type (iii), dont les réponses, en retour, ont guidé le travail théorique de (re)construction, dans le type (ii), et conforté les critiques formulées à l’encontre du type (i). Le contenu (et pas seulement le plan) de ce rapport reflète(nt) cette méthode de travail. Le rapport consiste d’abord en un texte synthétique (SYNTHESES 1 à 5), une sorte de relevé de conclusions, que l’on a voulu aussi bref que possible, et, nous l’espérons, accessible au non-spécialiste de l’économie institutionnaliste ou de la sociologie économique. Cinq développements substantiels (ANALYSES 1 à 5) l’accompagnent, pour expliciter et argumenter ce qui est seulement énoncé et affirmé dans le texte synthétique : c’est là que l’on trouvera les justifications théoriques (empruntées à l’économie institutionnaliste et à la nouvelle sociologie économique), et empiriques (par renvoi aux entretiens réalisés) – à l’exception du premier développement, dédié à la seule critique des rapports produits ou inspirés par la Commission. La succession de ces justifications est tout sauf anecdotique ; elle est liée à la progression des (hypo)thèses exposées dans le corps du texte. En ce sens, ces développements ne sont pas à considérer comme des annexes de la construction, tels des commentaires détaillés à consulter pour plus de précisions en fin de raisonnement, mais comme des fondations - comme une infrastructure que l’on re-visiterait à chaque étape-clé de l’élaboration du raisonnement, pour s’assurer de sa cohérence et de sa solidité. Dans ce qui suit, nous allons chercher à analyser différentes formes de régulation des activités juridiques en partant de la remise en cause de la régulation professionnelle classique à la fois politiquement, par la commission européenne ainsi que par les pouvoirs publics nationaux (Rapport Attali, 2008), et économiquement, de façon plus diffuse, par l’émergence de nouvelles formes organisationnelles des activités juridiques. C’est à partir de ce type d’interrogation que nous avons questionné nos interlocuteurs, sans oublier qu’ils ont eux-mêmes différents points de vue sur les modèles d’activité ou de régulation de la concurrence. L’expression de ces points de vue dépend, en partie, de leur position, notamment de la nature de l’activité dans laquelle ils sont engagés. C’est pour cette raison que nous avons décidé, dans le cadre de cette pré-enquête, de faire varier nos domaines d’investigation (droit de la famille, droit social et droit des affaires), en même temps que le type de concurrence (prix/qualité). A partir de ces variations d’observation, nous avons aménagé un espace de débat analytique pour une confrontation renouvelée du modèle de l’Ordre professionnel et du modèle du Marché, en ce qui concerne le métier d’avocat et la fourniture de services juridiques. L’autre aspect du renouvellement souhaité tenait à notre souci de ne pas en rester aux arguments traditionnels, et d’exploiter toutes les avancées récentes, y compris hétérodoxes, de la recherche en sciences sociales sur le marché, le droit et l’économie. L’hypothèse de travail qui est à la base de ce double renouvellement pose que la concurrence, sur le « marché des services juridiques », porte autant ou davantage sur la qualité que sur les prix. Cette idée, dans son énoncé général, n’est pas neuve (Karpik, 1989, 1995 ; Copenhagen Economics, 2006). Mais c’est pour nous une raison supplémentaire de nous étonner que ses conséquences logiques n’aient jamais été systématiquement inventoriée par les économistes – comme nous nous proposons de le faire dans cette étude.