8° Colloque du réseau Des Outils pour Décider Ensemble : Comment adapter et hybrider les démarches participatives dans les territoires ?, Clermont-Ferrand, FRANCE, 15-/10/2019 - 16/10/2019; L'approvisionnement local de la restauration collective est mis à l'agenda de nombreux territoires. Les nouvelles injonctions étatiques, impulsées par le Grenelle de l'Environnement de 2007, insistent sur l'exemplarité des collectivités publiques (Darly, Aubry 2014). La loi Agriculture et Alimentation (Egalim) de 2018 vient renforcer ces injonctions en fixant un objectif de 50% de produits de qualité dans la restauration collective. Outre la volonté de promouvoir une alimentation de qualité, les actions menées en faveur de l'approvisionnement local sont perçues comme un moyen pour les collectivités de déployer des politiques alimentaires innovantes. Pourtant, de nombreux freins sont encore à lever pour remplir les objectifs. Parmi ces derniers, la multiplicité et diversité des acteurs ainsi que leur déficit de connaissances mutuelles sont fréquemment soulignés (Le Velly et al. 2010). En effet, introduire davantage de produits locaux dans la restauration collective implique de modifier le nombre et le type des interlocuteurs. Cela suppose des transformations profondes des organisations à différents niveaux (MAAF 2014) : pour les exploitations agricoles, mais aussi pour les restaurants, pour le conditionnement des denrées et la livraison, mais aussi pour la prise de commande, la réception des produits et la confection des repas. Le recours au groupement d'achat constitue un moyen d'augmenter le pourcentage de produits locaux sans résoudre le manque d'interconnaissance entre chefs de cuisine et producteurs. En maintenant un système logistique conventionnel, ce mode d'approvisionnement fluidifie les transactions (garantie de volumes, facilité de livraison, prix négociés) sans permettre aux exploitations en circuits courts de s'y intégrer. La difficulté de rencontre de l'offre de produits locaux et de demande de la restauration collective se cristallise ainsi sur des problématiques logistiques et organisationnelles (Romeyer 2012) et sur le coût pour tous les acteurs de réels changements de pratique. Pour relever ces défis, les travaux scientifiques insistent sur les bienfaits des organisations collectives et de la mutualisation (Blanquart et al. 2015). Sont testés sur les territoires : le recensement et la mise en contact des acteurs, l'émergence de solutions matérielles comme les plateformes logistiques collectives (MAAF 2015) ou le covoiturage de produits. Peinant souvent à se pérenniser faute d'adhésion (Le Velly, Bréchet 2007), nous choisissons d'investir la question de l'interconnaissance. Dans le cadre d'un projet de recherche-action visant à produire des méthodes d'accompagnement sur la thématique logistique , un jeu de rôle semi-coopératif a été élaboré. Il met en scène producteurs agricoles, chefs de cuisine, gestionnaires d'établissements, conseil agricole et collectivités locales. Conçu comme une immersion dans la réalité des métiers, le jeu a pour objectif de favoriser l'interconnaissance des acteurs. Notre hypothèse est que l'objectif d'interconnaissance atteint par la mise en situation peut permettre l'émergence de solutions communes co-construites. Nous nous demandons dans quelle mesure le jeu de rôle conçu permet l'interconnaissance et dans quelles conditions. Nous interrogeons aussi les solutions émergeant lors des sessions de jeu, en tentant de les qualifier et de les situer au regard des leviers, notamment collectifs, identifiés. En termes méthodologiques, le jeu de rôle est conçu comme une reproduction du système de l'approvisionnement local de la restauration collective et repose sur trois grands principes. La simulation se base sur la création d'un environnement spécifique simplifié. Circonscrit dans un temps et un espace délimités, le jeu repose sur un corpus de règles (conditions de victoires, actions possibles, etc.), qui retranscrivent, à grands traits, les contraintes et objectifs propres à chaque catégorie d'acteurs. Un travail de sélection a été mené afin de valoriser certaines mécaniques du système, qui ont été grossies, au détriment d'autres, volontairement oubliées. L'immersion consiste à concevoir un environnement certes simplifié mais réaliste. Ce critère garantit le caractère sérieux du jeu et favorise l'engagement des joueurs. Pour cela, des entretiens préliminaires ont été réalisés avec des acteurs des Hauts-de-France, représentants de chaque catégorie afin d'identifier, pour chacune, les éléments structurants du système et de les mettre en valeur dans le jeu. L'interaction est renforcée par le caractère semi-coopératif du jeu. Si chaque catégorie d'acteurs a des objectifs et contraintes propres, le jeu repose avant tout sur un objectif collectif à atteindre. S'agissant d'un jeu à somme non nulle, les joueurs perdent ou gagnent ensemble. Le jeu est encore en phase de test, mais les 6 sessions réalisées ont fait émerger des résultats préliminaires. Ils sont à la fois relatifs à la conception du jeu (1) et à ses objectifs (2). (1) Quoique la restauration collective constitue l'un des débouchés les plus complexes des circuits courts (multiplicité des acteurs et des tâches, contexte réglementaire), la jouabilité du jeu semble assurée, grâce à des phases de jeu (correspondant à un service de restauration ) d'une durée raisonnable (45 minutes environ), du matériel simple d'utilisation et des actions assimilées rapidement par les joueurs. Le second résultat tient à l'adhésion des joueurs et à la légitimité du jeu, illustrant d'un dosage satisfaisant entre complexité et simplification d'une réalité. L'orientation logistique donnée au jeu participe à favoriser la jouabilité et l'adhésion, car elle incite à centrer le jeu sur des tâches (passer commande, livrer, réceptionner, facturer) dont l'opérationnalité et la matérialité facilitent la transcription dans le jeu et l'appropriation par les joueurs. L'entrée logistique offre également une place de choix aux interactions entre les acteurs, nécessaires pour de nombreuses actions (élaborer une stratégie d'achat, négocier les prix, passer commandes, etc.), incitant à la discussion. (2) D'un point de vue de l'interconnaissance, les contraintes les plus souvent évoquées par les joueurs concernent la temporalité des acteurs : gestion court-termiste des situations, surcharge de travail et multiplicité des tâches pour les chefs et a fortiori pour les producteurs qui manquent de temps pour dialoguer avec leurs pairs ou avec d'éventuels clients. S'ajoutent des constats concernant la solitude des producteurs contrastant avec les duos chefs de cuisine/gestionnaire ou encore un manque de vision globale de la situation qui rend plus difficiles les décisions relatives aux investissements et aux incitations. Ces premiers résultats semblent d'autant plus intéressants qu'ils s'avèrent des constats valables pour d'autres débouchés en circuits courts. Les contraintes exprimées par les joueurs en fin de jeu sont également ressenties au cours du jeu, sous forme de blocages. Ils obligent les joueurs, au cours de la session, à élaborer des stratégies de contournement. Les solutions adoptées sont graduelles et plus ou moins abouties. Elles peuvent être simples et individuelles (acquérir un panneau publicitaire), elles peuvent reposer sur des collaborations logistiques ponctuelles (partager un trajet) ou sur des stratégies collectives plus pérennes (constitution d'association, acquisition conjointe de matériel, etc.). En termes de processus d'adoption des solutions, au moins deux constats peuvent être faits : le rôle d'incitateur des collectivité et conseil agricole, des solutions qui reposent plus souvent sur l'action collective des producteurs plutôt que des restaurants. Si la plupart des solutions individuelles mises en place dans les sessions sont le fruit d'outils préalablement présents dans le jeu, ce n'est pas le cas des solutions collectives qui, quoique similaires, ont été propres à chaque session, et laissent entrevoir de potentiels enjeux d'acceptabilité.