Le succès des partis et entrepreneurs « populistes » représente un des phénomènes politiques les plus remarquables et sans nul doute parmi les plus étudiés de ces deux dernières décennies. Dans sa version contemporaine, le populisme se donne à voir sous de multiples occurrences distribuées sur l’ensemble du spectre politique et couvrant une pluralité d’aires géographiques. Le développement de ce populisme multiforme et « global » pose un ensemble de questions quant à la définition du phénomène, la délimitation de son périmètre partisan et sociétal, et les dynamiques économiques, culturelles et politiques de son succès.Au-delà de la diversité des manifestations du phénomène populiste, la littérature comparative internationale propose d’identifier des traits communs à l’ensemble de ces acteurs, formant un noyau « idéationnel » autour de l’opposition manichéenne du peuple aux élites et de la revendication d’une souveraineté populaire « absolue », repérable à la fois chez les acteurs partisans mais également dans les électorats sous la forme d’attitudes cohérentes et normatives. Le populisme est ainsi appréhendé en tant qu’idéologie « fine », peu substantielle et malléable, qui vient s’adosser à des corpus d’idées plus « épais » qui lui fournissent le contenu et les principales orientations de son programme politique.En ce sens, le populisme n’agit jamais de manière isolée et opère sur les grandes lignes de conflits qui traversent les démocraties occidentales contemporaines. Pour l’essentiel, ce populisme a pu être typifié autour de deux grandes catégories de « gauche » et de « droite », définies, pour la première, autour des enjeux économiques et, pour la seconde, plus particulièrement par la position de ces acteurs sur l’axe culturel de compétition. Parallèlement à cette conceptualisation en deux grands types principaux, la recherche souligne l’articulation du populisme avec les transformations socio-économiques et culturelles des sociétés post-industrielles, autour des multiples lignes de fracture formées par la globalisation. De nombreux travaux insistent sur la relation entre l’essor du populisme, d’une part, et la cristallisation, dans l’espace de la compétition politico-électorale, d’un conflit transnational, d’autre part.La question de l’alignement du populisme contemporain sur les enjeux et conflits relatifs à l’internationalisation des sociétés post-industrielles est au cœur de la réflexion proposée dans ce mémoire d’habilitation. Les enjeux produits par le processus de « dénationalisation » invitent à repenser les modèles traditionnels d’identification, de mobilisation et de décision électorale. Le caractère multidimensionnel de la globalisation et la diversité des effets qu’elle peut être à même de produire sur les systèmes politiques méritent d’être considérés non pas séparément mais à la lumière des diverses interactions et médiations des dimensions économiques, culturelles et politiques, des contraintes que ces dernières posent aux partis traditionnels et des diverses opportunités de mobilisation qu’elles offrent en retour aux entrepreneurs populistes.On réfléchira en particulier aux facteurs qui président à l’émergence et à la consolidation de ces acteurs. Leur succès s’inscrit dans un ensemble de transformations profondes des sociétés contemporaines, en réponse aux changements politiques, économiques et culturels qui ont affecté les régimes démocratiques depuis plusieurs décennies. Les multiples inquiétudes culturelles et économiques qui continuent de s’exprimer dans de vastes secteurs des électorats occidentaux alimentent la crise de représentation des partis traditionnels de gouvernement, accélérant les processus de désalignement entamés de longue date.A cet égard, ce mémoire propose d’examiner les modalités de l’articulation du populisme avec les grands axes de conflits et identités politiques qui continuent d’organiser le champ de la compétition politico-électorale dans la plupart des démocraties occidentales. Le phénomène populiste interroge directement les reconfigurations des clivages structurels des sociétés contemporaines. L’hypothèse, notamment, d’un nouveau conflit autour des enjeux de l’internationalisation ouvre sur deux grands ordres d’interrogation, concernant, d’une part, les recompositions à l’œuvre sur les principales dimensions de compétition économique et culturelle du fait de l’émergence de ce clivage transnational, et, en second lieu, les divers modèles d’alignement du populisme sur ces nouveaux conflits et enjeux.Dans ce mémoire, ces diverses questions sont envisagées autour du triptyque de la « redistribution », de la « reconnaissance » et de la « représentation », qui pourraient ainsi constituer en quelque sorte les trois ‘R’ du populisme global.Sous l’angle économique, la question de l’internationalisation, de son impact, et des liens que le populisme entretient avec elle, est abordée au travers des effets des processus d’accroissement des inégalités et de développement des insécurités et griefs socio-économiques au sein des sociétés post-industrielles, et des attentes que ces transformations peuvent générer en termes de redistribution. L’effet des variables économiques ne s’exerce pas de manière directe mais demeure, le plus souvent, médiatisé par les revendications culturelles. Griefs économiques et culturels se confondent dans une même revendication de reconnaissance liée au statut : les effets des transformations économiques et culturelles opèreraient ainsi par hypothèse au travers d’un sentiment de marginalisation sociale des individus et des groupes qui y sont les plus fortement exposés, face à ce que ces derniers perçoivent comme une remise en question de leur statut, de leur culture et de leurs valeurs au sein de la société. Culturellement, le populisme, tel qu’il se situe notamment à droite de l’échiquier politique, peut être analysé comme le produit d’une réaction aux transformations des systèmes de valeurs dominants et au multiculturalisme. En termes politiques, enfin, le mémoire propose de s’interroger sur les contraintes qui pèsent sur les acteurs partisans traditionnels et leur capacité de continuer d’assurer leurs fonctions de représentation et d’agrégation des intérêts et groupes sociaux, et plus encore leur aptitude à apporter des réponses effectives –ou en tout état de cause perçues comme telles– aux demandes émanant de ces groupes.Ces réflexions sont accompagnées par deux études de cas empiriques dans la seconde partie du mémoire. La première étude nous offre l’opportunité de poser la question des populismes « pluriels » et d’explorer les éléments de convergence dans les profils sociologiques, politiques et attitudinaux des électorats populistes tels qu’ils se distribuent aujourd’hui sur l’ensemble du spectre politique européen. La seconde étude de cas propose quant à elle d’explorer la notion de « populisme économique », son intérêt analytique et son opérationnalisation au travers d’une analyse croisée de l’offre et de la demande populistes en France et aux États-Unis. D’un point de vue théorique, cette seconde étude pose en outre la question d’un possible enrichissement du cœur idéationnel du populisme tel que communément défini, et du glissement d’éléments de l’environnement idéationnel périphérique du populisme vers son noyau central, qui serait de nature à en modifier plus substantiellement la morphologie.Plusieurs lignes de force se dégagent de ces analyses, qui pourront constituer de nouvelles pistes de réflexion pour les recherches à venir. Un premier aspect concerne l’appréhension du phénomène populiste à la fois dans sa diversité mais, plus fondamentalement aussi dans ce qui peut en constituer l’unité, au-delà des composantes de son cœur « idéationnel ». Nos résultats attestent de l’intérêt d’examiner plus précisément les modes d’articulation du populisme contemporain avec les grands axes de conflits et les identités politiques ainsi qu’avec les transformations à l’œuvre à l’intérieur même de ces espaces d’oppositions. En résonance par ailleurs avec l’ensemble des questions que continue de poser l’examen des soutiens électoraux des formations populistes, et ce qui semble, au fil du temps, spécifier le populisme comme symptôme politique d’un malaise grandissant au sein des classes moyennes.Revenant, enfin, aux enjeux du transnational, le mémoire conclut à l’importance d’explorer les interactions du populisme et des multiples formes de revendication de souveraineté, dans les domaines économiques, culturels ou politiques. L’analyse des liens entre populisme et souverainisme permet d’éclairer une intersection majeure, au confluent des souverainetés populaire et nationale, en lien avec les enjeux relatifs à l’internationalisation dont tout laisse à penser qu’ils continueront de dominer la politique populiste dans les années à venir, avec, désormais, de nouvelles interrogations relatives à l’épidémie de coronavirus et ses multiples répercussions économiques, sociales et culturelles.