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La reprise dans le champ musical. À propos de la dimension créatrice de la compulsion de répétition.

Authors :
Dissez, Nicolas
Bertaud, Édouard
Source :
Evolution Psychiatrique. Dec2023, Vol. 88 Issue 4, p539-550. 12p.
Publication Year :
2023

Abstract

La notion freudienne de compulsion de répétition est marquée, dans sa conception inaugurale, d'une connotation négative, celle d'un retour du même, qui ne donne pas la mesure des facettes multiples de ce registre. Élevant la répétition au rang d'un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan se soutient du texte de Kierkegaard intitulé « La reprise » pour pointer la dimension de renouvellement, de fécondité que peut induire le mouvement vers la répétition. Cet article s'attache à souligner combien la dimension de créativité de la répétition trouve une illustration particulièrement vive dans le champ musical, domaine qui fait un usage régulier et varié du terme de reprise. Cet écrit reprend des thèmes déployés dans une série de conférences tenues au cours de l'année universitaire 2021/2022 à l'École Pratique des Hautes Études en Psychopathologie, associant musiciens – Vincent Ségal – psychanalystes – Marc Morali, Corinne Tyszler, Olivier Douville – et mélomanes – Mario Choueiry – et laissant une grande place à l'écoute musicale. Cette étude, au-delà d'une lecture de la répétition comme expression de la pulsion de mort, appréhende la façon dont on peut entendre et mettre au travail cette notion freudienne par le biais de son expression dans le registre musical. Il s'agit ici d'explorer la question de la reprise dans la sphère des musiques populaires contemporaines mais également dans le jazz et la musique classique pour en appréhender l'articulation avec le mouvement même de la création. Dans les musiques dites populaires contemporaines et principalement le rock, la reprise – ou « cover » dans sa version anglaise – consiste, non pas à imiter mais à proposer une version, plus ou moins fidèle ou éloignée, d'un morceau original. L'écoute de cette reprise provoque une satisfaction particulière chez l'auditeur qui sait l'identifier. Considérée habituellement comme un hommage rendu aux pionniers ou la marque d'une dette envers les aînés, la reprise est pourtant avant tout tentative, imprégnée d'hostilité, d'effacement de l'origine. C'est ainsi que des reprises en viennent non seulement à supplanter les morceaux originaux mais également à les refouler, à les faire totalement oublier. Le Jazz s'attache également à la reprise de standards, non seulement comme exercice d'apprentissage nécessaire mais comme marque, pour celui qui s'y essaye à imposer son propre style et ainsi se faire reconnaître. La reprise de standards peut ainsi être l'occasion de faire entendre le point aveugle d'un morceau d'origine ou d'en faire resurgir un trait d'identité inconnu de lui-même. Dans le cadre de la musique classique, par des procédés multiples, la progression d'une œuvre se fait aussi régulièrement par le biais de la reprise d'un thème qui toujours sait se renouveler à la faveur de légers déplacements. Enfin, la musique contemporaine répétitive pousse, peut-être à son comble, cette dimension d'une créativité inhérente aux effets de la répétition. Plaisir, refoulement, origine, hostilité, imitation et identification : ces termes attachés à la reprise sont étroitement liés à la psychanalyse qui ne dispose que du concept de « répétition ». Il est pourtant habituel de s'entendre sur le divan reprendre le récit d'un rêve, celui d'un souvenir, ou bien même de reprendre une nouvelle tranche d'analyse. S'ouvre ainsi l'occasion d'interroger la fonction créatrice de la répétition au sein même de la pratique analytique. L'introduction de ce registre de la reprise dans sa dimension musicale au sein de la cure analytique conduit à interroger le talent spécifique qu'elle implique chez le praticien. La répétition ne devient créatrice qu'à la faveur d'un décalage que l'interprétation peut retrouver dans la poésie de la langue où le praticien gagne à se rapprocher de l'interprétation musicale. The Freudian notion of repetition compulsion is marked, in its inaugural conception, by a negative connotation, that of a return of the same, which does not fully reflect the multiple facets of this register. Raising repetition to the rank of one of the four fundamental concepts of psychoanalysis, Lacan uses Kierkegaard's text entitled "Repetition" to point out the renewal of fecundity that the tendency towards repetition can induce. This article demonstrates how the creative dimension of repetition finds a particularly vivid illustration in the field of music, a domain that makes regular and varied use of the term "repetition." This article takes up themes deployed in a series of conferences during the academic year 2021/2022 at the École Pratique des Hautes Études en Psychopathologie, associating musicians – Vincent Ségal – psychoanalysts – Marc Morali, Corinne Tyszler, Olivier Douville – and music lovers, Mario Choueiry, and leaving a large place to musical listening. This study, beyond a reading of the repetition as an expression of the death drive, studies the way in which we can hear and put to work this Freudian notion through its manifestation in the musical register. In this paper, we explore the question of repetition in the sphere of popular music but also in jazz and classical music in order to apprehend its articulation with the very movement of creation. In so-called popular music, and mainly in rock music, the covering a song consists in proposing a version, more or less faithful or distant, of an original piece – and not in imitating it. Listening to this cover causes a particular satisfaction in the listener who can identify it. Usually considered as a tribute to the pioneers or the mark of a debt towards elders, the cover version is however above all an attempt, impregnated with hostility, to erase the origin. This is how covers come to not only supplant the original pieces but also to repress them, to make them totally forgotten. Jazz is also attached to covering standards, not only as a necessary learning exercise, but as a way for artists impose their own style and thus gain recognition. The cover of a standard can be the occasion to make audible a blind spot in the original work, or to bring to the surface a trait of identity unknown to itself. Within the context of classical music, the progression of a work is also regularly done through the repetition of a theme that renews itself through slight displacements. Finally, contemporary repetitive music pushes, perhaps to its height, the creativity inherent to the effects of repetition. Pleasure, repression, origin, hostility, imitation, and identification: these terms that are related to repetition are closely linked to psychoanalysis, which only has at its disposal the concept of "repetition." It is, however, typical to hear oneself on the divan taking up the story of a dream or that of a memory; one can even "repeat" by continuing one's analysis after a break or termination. This opens up the opportunity to question the creative function of repetition within analytic practice. Introducing the musical dimension of repetition into the analytic treatment leads us to question the specific talent it implies in the practitioner. Repetition only becomes creative through a shift in interpretation that can be found in the poetry of language, where the practitioner is enriched by approaching musical interpretation. [ABSTRACT FROM AUTHOR]

Details

Language :
English
ISSN :
00143855
Volume :
88
Issue :
4
Database :
Academic Search Index
Journal :
Evolution Psychiatrique
Publication Type :
Academic Journal
Accession number :
173992376
Full Text :
https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2023.06.002