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Confiance mutuelle et droit fiscal de l'Union européenne

Authors :
Bin, Fabrice
Raimbault de Fontaine, Sophie
Riem, Fabrice
Poelemans, Maitena
Publication Year :
2022
Publisher :
Mare & Martin, 2022.

Abstract

1. la politique fiscale de l'UE est actuellement dans une impasse. L'harmonisation directe par adoption de législations communes patine depuis plus de vingt ans en raison d'une concurrence fiscale ayant errodé la confiance mutuelle indispensable en la matière. 2. La CJUE, après avoir pris le relais en harmonisant "indirectement" la fiscalité des Etats membres est en passe d'aller plus loin. Non pas de créer des impôts (elle en est bien évidemment incapable pour une raison de compétence) mais tout simplement en forçant désormais les Etats membres à respecter ce qu'il faut bien appeler une exigence, si ce n'est un principe de confiance mutuelle en matière de fiscalité au moyen d'une obligation de lutter contre la fraude, y compris en l'absence d'un dispositif anti-fraude dans la législation. En effet,la Cour de justice considère que « si la réglementation nationale applicable est, en soi, compatible avec le droit communautaire, un manquement peut découler de l’existence d’une pratique administrative qui viole ce droit lorsqu’elle présente un certain degré de constance et de généralité » (CJUE, 10 sept. 2009, aff. C-416/07, Comm. c/ Grèce, pt 24). Dans l’arrêt Tarrico, elle a considéré que « laisser inappliquées des règles nationales de prescription faisant obstacle à l’infliction de sanctions pénales effectives et dissuasives dans un nombre considérable de cas de fraude grave portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne » (CJUE, grde ch., 5 déc. 2017, aff. C.42/17, pt 41). Enfin, plus récemment, elle a même admis, contre l’avis de l’avocat général, que le principe général de droit selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union » puisse être invoqué pour refuser au contribuable le bénéfice de la directive 2003/49 (relatives aux intérêts/redevances) en l’absence même de dispositions anti-abus dans le droit national de l’Etat concerné et alors même que le droit primaire, ne prévoit pas comme en matière de TVA, d’obligation, à la charge des Etats, de perception effective des impôts directs pesant sur les entreprises (CJUE, gr. Ch., 26 fév. 2019, aff. C-115/16, N. Luxembourg 1). Mais plus intéressant encore, la rédaction de cette décision N. Luxembourg 1 précise « qu’il découle de ce principe qu’un Etat membre doit refuser les bénéfices des dispositions du droit de l’Union lorsque celle-ci sont invoquées non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d’un avantage du droit de l’Union alors que les conditions pour bénéficier de cet avantage ne sont que formellement remplies » (p. 98). Et d’ajouter plus loin, que compte tenu de « la nécessité de faire respecter ce principe dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l'Union, l'absence de dispositions anti-abus nationales ou conventionnelles est sans incidence sur l'obligation, pour les autorités nationales, de refuser le bénéfice de droits prévus par la directive 2003/49, invoqués frauduleusement ou abusivement ». La formulation retenue ici est impérative. Elle laisse à penser que la répression des fraudes et abus aux dispositions de directives, en matière de fiscalité directe, ne serait pas considérée comme une simple faculté octroyée aux États membres mais comme un devoir de leur part (V. BASSANI, Europe 4/2019, L’interdiction de l’abus de droit : principe général de l’Union ? à propos des arrêts rendus par la grade chambre de la Cour de Justice du 26 février 2019, ét. 3), lorsque la norme fraudée ou abusée est européenne. 3. Il faut bien comprendre que le laxisme calculé de certaines administrations fiscales est un moyen subtil et détourné de pratiquer une politique fiscale tolérante visant à attirer les contribuables, bref, à instaurer non pas dans la régimes fiscaux mais dans leur mise en œuvre des paradis fiscaux (ou plutôt des havres de paix comme le disent les anglo-saxons qui utilisent le terme de "Tax Haven"). Ce faisant, ces États sapent l'indispensable confiance mutuelle et contribuent, assez hypocritement, à la concurrence fiscale dommageable dénoncée par ailleurs. En luttant désormais de façon de plus en plus exigeante contre ces pratiques, la Cour de justice approfondit l'harmonisation fiscale européenne au moyen de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Ainsi, c'est en quelque sorte en rapprochant la politique fiscale d'un espace de sécurité et de justice fiscales que la Cour commence à créer les instruments juridiques indispensables à l'instauration d'une confiance mutuelle, indispensable pour contrecarrer la concurrence fiscale dommageable qui vicie cette dimension du Marché unique.

Details

Language :
French
Database :
OpenAIRE
Accession number :
edsair.dedup.wf.001..9bf5d42fc747eb8150aa308dd31fd9b8