L’allaitement, savoirs et pouvoirs la deuxième moitié du <scp>xviii</scp>e siècle

International audience; Nous sommes habitu&#233;-e-s aujourd&#39;hui &#224; consid&#233;rer, dans un contexte nord occidental, l&#39;allaitement maternel comme &#233;tant une fonction anodine, faisant partie de l&#39;une des phases physiologiques du corps de la femme. Par ailleurs, le lait de femme serait la meilleure nutrition pour le nouveau-n&#233; et l&#39;allaitement un moment privil&#233;gi&#233; dans la relation psycho-physique de la m&#232;re avec son enfant. Pour autant, pour que l&#39;allaitement devienne cette fonction maternelle et un processus corporel consid&#233;r&#233; comme ordinaire du point de vue de la science, il aura fallu un investissement sans pair de la part d&#39;une partie des &#233;lites occidentales, dont les m&#233;decins, ainsi que des &#201;tats. Ce basculement de perspective que l&#39;on peut inscrire dans la longue dur&#233;e est le fruit d&#39;un processus de re-moralisation du corps de la femme qui s&#39;op&#232;re sur plusieurs registres dans le cadre des d&#233;bats scientifiques du xvii e et xviii e si&#232;cle. Cependant il ne s&#39;agit pas de consid&#233;rer la deuxi&#232;me partie du xviii e si&#232;cle comme un moment de rupture dans les savoirs, mais de constater plut&#244;t &#224; ce moment une alliance entre une certaine philosophie et la m&#233;decine, gr&#226;ce &#224; la circulation d&#39;un savoir qui se veut &#171; rationnel et objectif &#187; et dont l&#39;op&#233;ration philosophique, scientifique et &#233;ditoriale de l&#39;Encyclop&#233;die est parti prenante. Cette tentative d&#39;homog&#233;n&#233;isation des savoirs est toutefois encourag&#233;e par un projet plus vaste 1 , qui se concr&#233;tise par une intervention massive des &#201;tats sur le gouvernement des corps. Pour les questions qui nous int&#233;ressent ici en particulier : la progressive m&#233;dicalisation de l&#39;accouchement ; la cr&#233;ation des premi&#232;res maternit&#233;s qui am&#232;nent, entre autres, &#224; une objectivation du corps de la femme qui accouche ; la mise en place d&#39;un dispositif de contr&#244;le des nourrices-notamment par le biais de l&#39;institution des bureaux de nourrices qui vise &#224; r&#233;gulariser le march&#233; du lait de femme ; la mise en place de dispositifs pour les &#171; m&#232;res d&#233;viantes &#187;-par exemple autour du recel de grossesse, de l&#39;avortement et de l&#39;infanticide, et des m&#232;res c&#233;libataires 2 .