> La maladie d’Alzheimer a 95 ans. Cet âge est approximativement aussi celui des neurosciences puisque la connaissance du cerveau se limitait, avant 1900, a son anatomie globale. C’est en 1906 que le prix Nobel attribue a Golgi et a Cajal pour la description fine et precise de l’architecture des cellules nerveuses permet de dater le debut de l’ere des neurosciences. C’est donc un an plus tard, en 1907, qu’Alois Alzheimer decrit pour la premiere fois le cas d’une femme de 51 ans, Augusta D., souffrant d’une degradation progressive de ses facultes cognitives, d’hallucinations, de confusion mentale et d’une inaptitude psychosociale. Alzheimer examine le cerveau d’Augusta D. et y detecte la presence dans le cortex d’enchevetrements de fibrilles intracellulaires, qu’il denomme degenerescences neurofibrillaires (DNF), ainsi que de nombreux foyers miliaires (les fameuses plaques seniles), caracterises par le depot d’une substance particuliere. Ainsi, des sa « nativite », la maladie d’Alzheimer est caracterisee sur le plan clinique par l’apparition progressive d’un syndrome dementiel et sur le plan histopathologique par la presence de lesions cerebrales caracteristiques, plaques seniles et degenerescences neurofibrillaires, ces observations fournissant encore les bases actuelles des criteres diagnostiques (voir l’article d’Anne-Sophie Rigaud et Francoise Forette, p. 689 de ce numero). Mais distinguer la maladie d’Alzheimer des demences du sujet âge reste difficile. Les premiers resultats clinico-pathologiques d’une etude multicentrique prospective des fonctions cognitives au cours du vieillissement, pilotee actuellement par le Medical Research Council britannique [1], montrent que les donnees neuropathologiques ne permettent d’expliquer la demence clinique que dans 79 % des cas, et que le diagnostic anatomo-pathologique de maladie d’Alzheimer est porte chez pres de 20 % des patients sans diagnostic clinique de demence ! (voir aussi l’article de Bruno Dubois et al., p. 775 de ce numero). Apres une longue periode qu’on pourrait qualifier de « moyenâgeuse », ce n’est que dans les annees 1960 que la recherche sur la maladie d’Alzheimer progresse de maniere significative avec la caracterisation ultrastructurale des plaques seniles et des degenerescences neurofibrillaires. Cette recherche histopathologique debouche actuellement sur les tentatives de visualisation des plaques seniles, du vivant des patients, en imagerie cerebrale (voir l’article de Marc Dhenain et al., p. 697 de ce numero). Les annees 1970 correspondent a la « Renaissance » et a l’âge d’or de la neurochimie puisque c’est en 1976 que sont decouvertes les atteintes selectives des systemes cholinergiques centraux a projection diffuse, du noyau basal de Meynert vers le cortex et l’amygdale et des noyaux du septum vers l’hippocampe, puis en 1980 celle des interneurones corticaux a somatostatine. C’est a partir de ces decouvertes neurochimiques qu’ont ete mis sur le marche, depuis le debut des annees 1990, les premiers (et encore les seuls) medicaments utilises aujourd’hui dans la maladie d’Alzheimer, les inhibiteurs de degradation de l’acetylcholine. Mais, contrairement aux espoirs suscites par l’hypothese causale cholinergique, les inhibiteurs d’acetylcholinesterase ne font, au mieux, que retarder l’aggravation des symptomes. A partir des annees 1980, on entre dans la periode « moderne » des neurosciences structurales avec, en 1984, l’isolement biochimique du peptide β-amyloide 142, constituant principal des plaques seniles, a partir des meninges d’un patient decede de maladie d’Alzheimer, puis la confirmation de sa structure a partir du cerveau de sujets trisomiques 21 qui developpent invariablement des plaques seniles des l’âge de 30 ans et des DNF vers 40 ans (voir l’article de Frederic Checler et al., p. 717 de ce numero). Pratiquement en meme temps, la demonstration est faite que la proteine tau, une proteine associee aux microtubules dans les neurones, est un constituant majeur des DNF, et que les proteines tau associees aux DNF sont anormalement phosphorylees (voir l’article de Luc Buee et Andre Delacourte, p. 727 de ce numero). Puis la « Revolution » moleculaire atteint les neurosciences et c’est, en 1987, la localisation chromosomique du gene codant pour le precurseur du peptide s-amyloide (amyloid peptide precursor, APP) sur le chromosome 21 (rappelez-vous, les sujets trisomiques...). Quatre ans plus tard, en 1991, la premiere mutation ponctuelle associee a une forme familiale precoce de la maladie d’Alzheimer est