Le français dispose de tout un ensemble de formes destinées à désigner une collectivité humaine : 'tout le monde' (désormais TLM), 'tous', '(tous) les gens' (désormais LG)). Ces formes, qui plus est, sont considérées tant par les dictionnaires que par les grammaires comme synonymes. La seule différence perçue l'est en termes de " variation diaphasique " : TLM - et l'on pourrait dire la même chose de LG est considéré comme le correspondant en " langue de tous les jours " de tous qui serait, lui, " plutôt littéraire " (cf. Sandfeld, ibid. et, à sa suite, Le Bidois, 245-6). Enfin, leur interprétation paraît relever de l'évidence. On comprend, en effet, qu'avec (1) et (2, le locuteur indique que la " totalité des personnes " pour reprendre la paraphrase de Sandfeld (411) et de Grevisse (§ 735) sont concernées par le prédicat qui leur est appliqué : 1) Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (La Fontaine, Fables) 2) On confond généralement comme Buffon langue et style, parce que peu d'hommes ont besoin d'un art de volonté (...) et parce que tout le monde a besoin d'humanité dans l'expression (Jacob, Cornet dés, 1923, p.14, TLFi) On comprend donc aisément que ce paradigme n'ait guère retenu l'attention. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît. Se posent au moins quatre problèmes, avec en premier lieu, celui du statut grammatical des formes. Si tous est unanimement classé au rang des pronoms indéfinis (cf. Denis & Sancier-Château, 1994, 254 et seq. ; Arrivé et al., 1986, 325), TLM et LG sont soit absentes des inventaires, soit accessibles exclusivement par leur N-base, comme le font le TLFi ou le PR qui inscrivent TLM sous monde, sans mention à une quelconque locution pronominale. Sans parler de LG, hors classement, même si P. Cappeau, après avoir observé certains parallélismes entre TLM et LG conclut : [...] aucun argument décisif ne s'impose même si ajouter tout le monde et les gens à la liste des indéfinis paraît possible (Cappeau, 2007, 129) Deuxièmement, la commutation entre les trois formes ne va pas toujours de soi (3-4) : 3) Ils étaient là, agglomérés en petits groupes, les garçons d'un côté les filles de l'autre. Tous ou presque vêtus d'un 501 et d'une chemise kaki dénichée dans les surplus américains de la région (Ernaux, Usage de la photo, 2005) Tout le monde ou presque vêtu d'un 501 et d'une chemise kaki dénichée dans les surplus américains de la région/*Tous les gens ou presque vêtus d'un 501 et d'une chemise kaki dénichée dans les surplus américains de la région 4) Mon programme politique contentera tout le monde et ne m'engagera pas (in Sandfeld, 302) *Mon programme politique contentera tous et ne m'engagera pas Le troisième problème a trait au fonctionnement référentiel des trois formes : seul, TLM est considéré comme nominal, les deux autres pouvant référer par " diaphore " ; seuls, LG et TLM sont dotés du trait /+hum/, tous ne l'acquérant que par le truchement de sa source : 5) J'ai ainsi commencé trois romans. Tous s'arrêtent au début de la seconde phrase (Sandfeld, 393) C'est aussi dans cette optique s'inscrit la question de l'extension de l'ensemble visé par les trois formes : TLM - d'une certaine façon, LG (cf. citation supra) est censé renvoyer tantôt à la totalité " globalisante " (GMF, 2009), tantôt à la " quantification totalisante " (Arrivé et al. 1986, 325, tantôt non (cf. " la (quasi) totalité, la grande majorité des gens " (TLFi)), quand il n'équivaut pas à chacun (PR, Grevisse). Bref, la valeur sémantico-référentielle n'est, de loin, pas encore stabilisée dans les ouvrages de consultation. Partant du principe que notre système ne s'embarrasserait pas d'autant de formes en relation de redondance, d'une part, et compte tenu des problèmes en suspens, d'autre part, notre objectif consistera donc à éclairer le statut catégoriel des trois formes, au triple plan morphologique, syntaxique et sémantico-référentiel, de manière à comparer et préciser leurs conditions d'emploi et les interprétations multiples qui, le cas échéant, s'y attachent. Le propos, qui peut paraître anecdotique de prime abord, l'est moins quand on sait que certains auteurs (Wierzbicka, 1988) font de l'équivalent anglais de les gens (people) le primitif sémantique de la catégorie humaine. Il s'agit donc de déterminer dans quelle mesure cette thèse est susceptible de s'appliquer au français, compte tenu de la diversité lexicale des N généraux qui participent de la catégorie humaine, dont l'extension et le fonctionnement restent par ailleurs encore largement méconnus.