Cette thèse porte sur un cinéma contemporain dit « élégiaque ». L’élégie, du grec ancien elegos, « chant de deuil », est aujourd’hui définie, par extension, comme une œuvre poétique dont le thème est la plainte – « élégiaque » est donc l’expression poétique du deuil et de la perte, l’emploi du terme en ce cas devant également faire droit au motif de la plainte, qu’il continue d’évoquer autant que son fond endeuillé. Deux principales hypothèses fondent les axes de cette recherche : la première est que cette teneur élégiaque se découvre tout particulièrement dans le suspens du mouvement filmique causé par l’irruption de photographies et d’archives ; la seconde, que l’expansion de ce suspens photographique dans le cinéma contemporain est lui-même largement tributaire de l’extension d’une tendance indiciaire correspondant historiquement à l’après Seconde Guerre mondiale. Le cinéma élégiaque constitue donc en réalité le terme d’un parcours qui débute par les mises en scène des gestuelles de lamentation, revient sur le paradigme indiciaire et examine les écrits portant sur la photographie et les archives. La première partie est consacrée à l’élégie, elle revient sur l’histoire du genre, les thèmes de la plainte élégiaque, du deuil et de la mélancolie étant déclinés historiquement. La seconde partie interroge les figures du deuil monumental à travers l’usage allégorique des corps dans les mises en scène des gestuelles de lamentation au cinéma. La troisième partie revient sur la rupture de la Seconde Guerre mondiale, la découverte des camps de concentration et d’extermination ayant accusé le pouvoir de la mise en scène. La destination indiciaire du medium prend alors les devants dans l’événement que constitue la vision des camps nazis, la nature indicielle de ses images photographiques et filmiques autorisant leur double allégeance au cadre juridique comme au domaine mémoriel. On avance que c’est précisément de cette double allégeance que joue le cinéma élégiaque, en portant l’archive de la preuve à la plainte. On examine cette tendance indiciaire, à travers les écrits de Benjamin, Kracauer et Bazin, et le néoréalisme et l’œuvre de Rossellini en particulier. Les rapports du cinéma à la réalité tels qu’ils ont pu être conçus dans ce cadre sont réexaminés. C’est en ces divers sens que l’on tâche finalement de distinguer dans la dernière partie les formes et les contours d’un cinéma élégiaque, au travers de certaines œuvres d’Artavazd Pelechian, Abbas Kiarostami, Chris Marker et Jean-Luc Godard en particulier – où l’on se demande alors ce qui dans ces œuvres se plaint, ce qui en elles est perdu, et comment cela se montre – comment, donc, le cinéma peut-il se faire l’expression de la plainte élégiaque., This thesis focuses on a contemporary cinema called "elegiac". The elegy, from the ancient Greek elegos, "song of mourning", is nowadays defined, by extension, as a poetic work whose theme is the protest – "elegiac" is therefore the poetic expression of mourning and loss, the use of the term in this case also referring to the motif of the complaint, which it continues to evoke. Two main hypotheses lay the foundations of this research: the first is that this elegiac content is particularly apparent in the suspension of the filmic movement caused by the irruption of photographs and archives; the second, that the expansion of this photographic suspension into contemporary cinema is itself largely dependent on the extension of a historical trend corresponding historically to post-World War II. The elegiac cinema is thus the termination of a course that starts with the staging of the gestures of lamentation, returns to the index paradigm and examines the writings on photography and archives. The first part is dedicated to the elegy, it looks at the history of the genre, the themes of elegiac complaint, mourning and melancholy being declined historically. The second part examines the figures of monumental mourning through the allegorical use of bodies in the staging of gestures of lamentation in the cinema. The third part reviews the break-up of the Second World War, the discovery of the concentration camps and extermination having accused the power of staging. The index destination of the medium then takes the lead in the event that constitutes the vision of the Nazi camps, the index nature of its photographic and filmic images authorizing their double allegiance to the legal framework as well as the memory domain. It is argued that it is precisely this double allegiance that elegiac cinema relies upon, by carrying the archive from the evidence to the complaint. This third part examines this index trend, through the writings of Benjamin, Kracauer and Bazin, and neorealism and the work of Rossellini in particular. The relations of cinema to reality as they were conceived in this context are re-examined. It is in these various senses that we finally try to distinguish the forms and contours of an elegiac cinema in the fourth part, through some works by Artavazd Pelechian, Abbas Kiarostami, Chris Marker and Jean-Luc Godard in particular. One then wonders what is the ground of the complaint in these works, what in them is lost, and how it is expressed – how, therefore, can cinema be the expression of the elegiac protest.