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À la mythologie des grands noms des cirques parisiens répond le légendaire des chapiteaux ambulants. Il appartient à l’historien de revenir aux sources pour tenter de rendre compte des réalités des spectacles circassiens dissimulées derrière cet imaginaire : du carnet d’un forain détenteur d’une ménagerie à celui d’une famille de saltimbanques qui grimpe peu à peu les hiérarchies du monde du spectacle vivant, on perçoit mieux les réalités d’une marginalité tout à la fois géographique et identitaire. Ces artistes apportent de foire en foire, de villes en villages, quelques heures de distractions, tout en demeurant aux marges de la société. Cela est confirmé par la loi de 1912, qui vient résolument enfermer saltimbanques et circassiens dans une marginalité institutionnalisée. The mythology of the great names of the Parisian circus is matched by the legend of the travelling tents. It is up to the historian to go back to the sources to try to account for the realities of circus shows hidden behind this imaginary world: from the diary of a fairground owner of a menagerie to that of a family of acrobats who gradually climbed the hierarchies of the world of live entertainment, we can better perceive the realities of a marginality that is both geographical and identity-based. These artists bring from fair to fair, from city to village, a few hours of entertainment, while remaining on the margins of society. This is confirmed by the law of 1912, which resolutely locks up acrobats and circus artists in an institutionalized marginality.

À la fin de l’Ancien Régime, les Juifs de Bordeaux étaient essentiellement les descendants de familles portugaises à l’existence reconnue par les lettres patentes de 1723. Ils connaissaient de spectaculaires exemples de réussite économique et d’intégration dans les sociabilités éclairées, mais aussi une forte solidarité communautaire. Ils étaient sans doute les moins marginalisés de France. L’objet de cet article vise ainsi à observer sur une « nation » confessionnelle d’Ancien Régime, à la lisière de la norme dominante, les effets du déploiement de l’universalisme du droit naturel ainsi que le rôle moteur des Juifs bordelais dans les diverses phases d’intégration à la nation. Celui-ci analysera les modalités et les enjeux du processus qui, du despotisme éclairé à la Révolution française et à l’Empire, conduisit une communauté locale et une confession minoritaire d’une certaine périphérie civile et politique à une citoyenneté nationale à part entière. At the end of the Ancien Régime, the Jews of Bordeaux were essentially the descendants of Portuguese families whose existence was recognized by the letters patent of 1723. They had spectacular examples of economic success and integration into enlightened society, but also strong community solidarity. They were probably the least marginalized in France. The purpose of this paper is thus to observe the effects of the deployment of the universalism of natural law on a confessional “nation” of the Ancien Régime, on the edge of the dominant norm, as well as the driving role of the Jews of Bordeaux in the various phases of their integration into the nation. It will analyze the modalities and the stakes of the process which, from enlightened despotism to the French Revolution and the Empire, led a local community and a minority denomination from a certain civil and political periphery to full national citizenship.

L’article 15 de la loi de juin 1806 exclut les spectacles de curiosités du programme de restructuration théâtrale napoléonienne. Interdit de se nommer « Théâtres », ces entreprises sont privées du droit de représenter pantomimes et comédies. Dénoncés par les directeurs de théâtres pour leur concurrence supposément déloyale, passés dans le giron d’autres institutions par le biais de taxes ou réduits au silence pour certains par des préfets zélés sous le Consulat, les entrepreneurs de curiosités sont bien rejetés en dehors de la « sphère théâtrale » du bon goût et des nouvelles entreprises dramatiques privilégiées. Il convient d’apprécier les signes avant-coureurs et le processus de définition de règles ayant conduit en 1806 à l’exclusion de la réglementation impériale des théâtres des spectacles de curiosités, pourtant largement plébiscités par les publics. Article 15 of the law of June 1806 excludes the spectacles of curiosities from the program of Napoleonic theatrical restructuring. Forbidden to call themselves “Theatres”, these companies were deprived of the right to represent pantomimes and comedies. Denounced by theater directors for their supposedly unfair competition, brought into the fold of others through taxes, or silenced for some by zealous prefects under the Consulate, the entrepreneurs of curiosities were well and truly rejected from the “theatrical sphere” of good taste and the new privileged dramatic enterprises. It is important to appreciate the precursors and the process of defining rules that led in 1806 to the exclusion of curiosity shows from the imperial regulation of theaters, even though they were widely acclaimed by the public.

À partir du décret du 30 avril 1793, les femmes combattantes sont exclues des armées républicaines. Mais le décret est peu appliqué : plusieurs d’entre elles parviennent à se maintenir au sein des troupes après 1793 en se travestissant ou en justifiant leur présence par leurs compétences guerrières. Soutenues par des officiers, certaines d’entre elles mènent de véritables carrières militaires, et obtiennent des récompenses pour leurs années de service. Malgré le caractère illégal de leur présence dans l’armée, les sources de l’administration militaire et les Mémoires des combattantes témoignent de leur bonne intégration au sein des troupes républicaines et impériales. En mobilisant des liens interpersonnels avec des membres de l’administration militaire et en produisant des discours sur leur parcours, les combattantes parviennent à contourner l’exclusion pourtant inscrite dans la loi. From the decree of April 30, 1793, women combatants were excluded from the Republican armies. However, the decree was hardly enforced : many of them managed to remain in the troops after 1793 by disguising themselves or by justifying their presence by their warlike skills. Supported by officers, some of them had real military careers and obtained rewards for their years of service. Despite the illegal nature of their presence in the army, the sources of the military administration and the memoirs of the women combatants testify to their successful integration into the Republican and Imperial troops. By mobilizing interpersonal links with members of the military administration and by producing speeches on their career, the women combatants managed to circumvent the exclusion that was nevertheless enshrined in the law.

Plus de 1 000 hommes, femmes et enfants précisément identifiés, tous migrants forcés issus des liens entre la Normandie et les colonies, arrivèrent et vécurent en priorité dans les ports du Havre, de Rouen et de Honfleur du xvie au xviiie siècle. Les parcours professionnels de ce groupe ont été rassemblés dans un fichier construit surtout à partir du dépouillement des registres paroissiaux et des équipages maritimes. Grâce à lui, il est possible, au-delà de l’esquisse d’une étude sociogéographique, de mesurer la force du préjugé de couleur des sociétés urbaines d’accueil. Elles ont ajouté à la marginalisation juridique dans laquelle les plaçait leur statut, une seconde marginalisation : elles manifestent en effet une propension à les employer prioritairement dans les professions maritimes. More than 1,000 precisely identified men, women and children, all forced migrants from the links between Normandy and the colonies, arrived and lived primarily in the ports of Le Havre, Rouen and Honfleur from the 16th to the 18th centuries. The career paths of this group have been gathered in a file built mainly from the analysis of parish registers and maritime crews. Thanks to it, it is possible, beyond the sketch of a socio-geographical study, to measure the strength of the color prejudice of the urban host societies. They added to the legal marginalization in which their status placed them, a second marginalization: they indeed showed a propensity to employ them primarily in the maritime professions.

On parle volontiers de persécution pour caractériser la politique adoptée à l’égard des protestants locaux par les municipalités des villes dites catholiques pendant les guerres de Religion. Les réglementations contribuent largement à la marginalisation sociale et politique des intéressés et au déclin de leur communauté ; les autorités paraissent ainsi exprimer leur rejet de la nouveauté religieuse. On en conclut aisément que le but premier de cette action publique était d’assurer la victoire de la majorité confessionnelle sur la minorité. Cet article se propose de nuancer cette idée à partir de l’analyse d’un cas emblématique, celui de la Chambre de ville dijonnaise, à la lumière des acquis récents de l’historiographie. Elle tentera de démontrer que l’on a affaire davantage à une politique de prévention, dictée par des impératifs sécuritaires, qu’à une répression arbitraire, motivée par la haine religieuse. The term “persecution” is often used to characterize the policy adopted towards local Protestants by the municipalities of Catholic cities during the Wars of Religion. The regulations largely contributed to the social and political marginalization of Protestants and to the decline of their community; the authorities thus seemed to express their rejection of this religious novelty. It was easy to conclude that the primary goal of this public action was to ensure the victory of the confessional majority over the minority. This article questions this idea by analyzing the Dijon City Chamber emblematic case, in the light of recent historiographical knowledge. It attempts to demonstrate that it was mainly a policy of prevention, dictated by security, rather than an arbitrary repression, motivated by religious hatred.

Alors que la Grande-Bretagne ouvrait sa première colonie pénitentiaire (Botany Bay en Australie, 1788), la France de l’époque révolutionnaire, qui se plongeait dans la révision de son Code pénal, s’empara de cet outil qui avait été plus ou moins abandonné depuis 1763. La déportation visait à l’époque moderne essentiellement les vagabonds, les récidivistes et parfois les minorités religieuses. La Révolution française ouvrit de nouveaux débats à ce sujet, qui mêlaient une réflexion sur la citoyenneté, sur la nationalité et sur la race. Je voudrais montrer ici que la déportation, qui renvoie les indésirables aux marges de la nation, participe à la définition de celle-ci, mais aussi à la colonisation d’espaces en cours d’acquisition. While Great Britain opened its first penal colony (Botany Bay in Australia, 1788), France in the revolutionary period, which was in the process of revising its penal code, took up this tool that it had more or less abandoned since 1763. In modern times, deportation was mainly aimed at vagrants, repeat offenders and sometimes religious minorities. The French Revolution opened up new debates on this subject, which combined a reflection on citizenship, nationality and race. I would like to show here that deportation, which sends undesirables to the margins of the nation, participates in the definition of the latter but also in the colonization of spaces in the process of acquisition.

Tenu à Aubervilliers en 2022, le 146e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques avait pour thème global « les périphéries ». Il interrogeait particulièrement l’aménagement des territoires et l’organisation de la cité-monde, alertant à plus d’un titre nos connaissances et nos consciences dans le moment présent. Le terme de « périphéries politiques » n’a-t-il pas fait son entrée dans le débat électoral français, marqué par une grave crise du contrat social et du vote, autrefois...

Par tradition familiale et par convictions personnelles, Charles Desprez de Boissy a épousé et servi la cause janséniste. Dans sa Lettre sur les spectacles, sans cesse rééditée à partir de 1756, et conseillée par les plus hautes instances de l’Église de France, il mène un réquisitoire contre l’essentiel des arts de la scène. À partir de l’inventaire de sa bibliothèque, cet article essaie de comprendre sur quelles traditions et quelles lectures, quelle approche de la littérature il repose. Il montre aussi combien la compréhension des auteurs est conduite ou handicapée par une foi parfois aveuglante, et combien les actes de l’auteur peuvent sembler, en matière de pratique théâtrale, en contradiction avec ses principes. By family tradition and personal convictions, Charles Desprez de Boissy served the Jansenist cause. In his Lettre sur les spectacles, regularly published from 1756 onwards, and promoted by the highest authorities of the Church of France, he leads an indictment against the performing arts. By studying the inventory of his library, this article tries to understand which traditions, which readings, and which approach of literature it relies on. It also shows that the authors’ understanding is sometimes driven or handicapped by a blinding faith. Morever, the author’s actions may contradict his principles in terms of theatrical practices.

Cet article étudie un segment de l’histoire longue de l’exclusion religieuse des comédiens et des comédiennes, de l’épisode des cendres dispersées d’Adrienne Lecouvreur sur les bords de Seine (1730) à l’enterrement houleux de Françoise Raucourt (1815). Dans une capitale passionnée par le théâtre, celles et ceux qui en font leur métier doivent procéder à différentes stratégies de contournement pour échapper à l’excommunication. La Révolution ne supprime aucunement la menace de cette exclusion, et sous l’Empire puis la Restauration les heurts avec l’Église ciblent particulièrement les femmes de spectacle. Néanmoins, le retentissement de ces conflits est désormais public et possède une forte portée politique. This article examines a segment of the long history of religious exclusion of actors and actresses, from the episode of Adrienne Lecouvreur’s ashes scattered on the banks of the Seine (1730) to the stormy burial of Françoise Raucourt (1815). In a capital city passionate about theater, those who made it their profession had to use various evasive strategies to avoid excommunication. The Revolution in no way removed the threat of this exclusion, and under the Empire and then the Restoration the clashes with the Church targeted the women of the theatre in particular. Nevertheless, the repercussion of these conflicts was now public and had a strong political impact.

Entre les XVIe et XIXe siècles, la France nous offre des marginalités un miroir à bien des facettes. Que l’approche soit économique, religieuse, politique ou culturelle, nous sommes ramenés au rapport difficile à l’altérité que construit un modèle univoque de pouvoir, une monarchie absolue ou des empires qui marient le trône et l’autel, autour d’un roi ou d’un empereur de guerre. À travers les contributions réunies dans ce recueil, l’on souhaite réfléchir à la manière dont ces mises au ban ont construit la figure de l’autre, de l’étranger, au sein même de son propre pays d’origine ou d’accueil, ou ont défini en creux des droits civils et civiques, indissolublement liés à une communauté de destins, de pensée, d’intérêts. Aucune des marginalités, des souffrances imposées ne va cependant sans résistances, sans luttes opiniâtres et prolongées pour la reconnaissance, pour les libertés, individuelles et collectives, pour l’égalité des droits, ce que l’actualité ne dément jamais. Between the 16th and 19th centuries, France offered us a multifaceted mirror of marginality. Whether the approach is economic, religious, political or cultural, we are brought back to the difficult relationship with otherness constructed by a univocal model of power, an absolute monarchy or empires that married the throne and the altar, around a king or a war emperor. The aim of the contributions in this collection is to reflect on the way in which these banishments have constructed the figure of the other, the foreigner, within his own country of origin or host country, or have defined civil and civic rights that are indissolubly linked to a community of destinies, thoughts and interests. However, none of the marginalisation and suffering imposed is without resistance, without stubborn and protracted struggles for recognition, for individual and collective freedoms, for equal rights, as current events never deny.

L'objet qu'il est question d'étudier — le paysage de l'Ouest bocager à l'époque moderne - n'existe plus, ou du moins, il a disparu pour sa plus grande partie. Situation classique pour un historien que de devoir parler de quelque chose qui n'existe plus. Mais un paysage n'est pas très facile à reconstituer car il n'existe pas de sources directes facilement utilisables. L'historien du paysage se trouve donc contraint à chercher tous les indices possibles, à les recomposer, pour les interpréter ...

La tradition de la géographie descriptive La géographie descriptive se rattache à la conception d'un paysage « objectif », celui que l'on peut, que l'on pourrait, ou que l'on aurait pu voir. Sa matérialité le rend susceptible d'une description objective à laquelle s'appliquent géographes, historiens et archéologues. Le partage entre eux se fait par la chronologie (les paysages présents pour les géographes, les paysages anciens voire totalement disparus pour les historiens et les archéologues)...

L'analyse des paysages bocagers de l'Ouest de la France, qu'elle soit abordée par l'intermédiaire des cartes seigneuriales, des textes techniques (les baux, les descriptions d'exploitations, les données du premier cadastre...), des récits de voyageurs ou des enquêtes du début du xix e siècle, amène inévitablement à observer l'importance des incultes dans ces systèmes agraires. Mesurer l'inculte n'est pas chose facile ...

Le paysage est à la mode, et le travail présenté ici n'échappe probablement pas à ce phénomène. Ce n'est pourtant, traditionnellement, ni un objet d'étude ni un concept pour les historiens : la seule histoire générale du paysage français dont nous disposons est l'oeuvre d'un géographe. Lorsque les historiens ont rencontré cette notion, c'est essentiellement par l'intermédiaire des parcellaires et des systèmes agraires. L'élaboration, dans les dernières décennies, de « théories » du paysage pa...

Ce dossier constitue la synthèse toute provisoire d'une démarche de recherches en cours. Il en ressort quelques certitudes, des interrogations multiples et aussi des orientations pour un travail futur. Que le paysage puisse constituer un objet d'étude et qu'il puisse aider à la compréhension d'un système social apparaît comme une certitude. L'exploration de différentes théories du paysage élaborées par des spécialistes d'autres sciences humaines nous a donn...

À très petite échelle, le paysage regardé à la loupe permet de faire le point sur la question de l'achèvement ou de l'inachèvement du bocage à la fin du xixe siècle. Les plus belles cartes seigneuriales confirment ce que disent les textes : le bocage n'est pas parfait, le réseau de haies supporte des imperfections et des interruptions. Ceci ne signifie pas que l'on a pas encore fini de construire le bocage au xviiie siècle mais qu'il fait partie de la définition de ce bocage d'être inachevé :...

Les paysages de l'Ouest de la France connaissent aujourd'hui une évolution rapide. Du Maine à l'Anjou et à la Bretagne, si l'on peut voir beaucoup d'arbres, il n'est pas sûr que l'on puisse encore observer un vrai bocage ! Le bocage a perdu le lien qu'il avait depuis son origine avec l'activité agricole : il reste une composante du paysage rural mais il n'est plus le cadre nécessaire du travail des agriculteurs. C'est la modification la plus importante qu'il ait connu depuis sa création. Le bocage n'est pas un milieu naturel : c'est un paysage construit ; il n'est pas là de toute éternité, mais il a été fabriqué et entretenu par des générations d'agriculteurs qui avaient besoin de haies pour pratiquer à la fois la culture et le pâturage. L'objet de l'ouvrage d'Annie Antoine est de porter un regard d'historien sur le paysage bocager de l'Ouest de la France : explorer les liens forts et durables tissés entre un paysage et ses habitants, lier la construction du bocage et ses transformations à l'évolution des sociétés rurales qui, de la fin du Moyen Âge aux mutations agricoles contemporaines, l'ont utilisé et transformé.

Un projet : faire du paysage un objet d'histoire Le paysage n'est pas un objet d'étude pour les historiens, même si l'association traditionnelle entre l'histoire et la géographie les a parfois fortement rapprochés de ce sujet. On se rappelle les exhortations de Marc Bloch, recommandant de faire l'étude des terroirs à travers les cartulaires et les plans terriers. L'appel a été entendu et les parcellaires sont devenus un sujet bien connu, notamment des historiens médiévistes. Mais le parcellai...

Une bonne analyse du parcellaire suppose que l'on dispose pour le même espace de matériaux permettant d'observer la forme et la disposition des parcelles, mais aussi la répartition spatiale de la propriété et la composition des exploitations. Plusieurs types de documents peuvent être utilisés : les rôles de vingtièmes, les aveux et obéissances, les affiches de vente des biens nationaux... Mais si l'on veut obtenir...

L'histoire de la cartographie est essentiellement celle de la cartographie d'État, cartographie de la découverte du monde au début de l'époque moderne, cartographie militaire aux xvie et xviie siècles, cartographie militaire et administrative au xviiie siècle. C'est dans ces trois domaines que l'on trouve les cartes les plus prestigieuses et les études les plus nombreuses. Avant les globes et les mappemondes, ce sont les visions linéaires, portulans des navigateurs et itinéraires des marcheur...

Selon Dupain de Montesson, « le spectacle de la campagne » s'exprime sur les cartes et les plans par la figuration des parcelles (c'est l'objet de l'arpentage) et par le dessin et les couleurs qui montrent ce que le terrain produit. De ces deux points de vue, celui de sa structure et celui de son remplissage, la carte seigneuriale se présente comme un objet hybride intégrant des notions contradictoires qui sont ...

L’art du Cuisinier n’est presque que celui d’assaisonner les mets ; il est commun à toutes les nations policées : les Hébreux le nommoient Mathamim, les Grecs ἀρτύματα, ἡδύσματα, les Latins condimenta. […] Il faut […] convenir qu’il n’y a guere que les sauvages qui puissent se trouver bien des productions de la nature, prises sans assaisonnement, et telles que la nature même les offre. Mais il y a un milieu entre cette grossiereté et les rafinemens de nos cuisines. […] Pendant longtems le sel...

Les marchands et les vendeurs de poissons représentent l’un des plus anciens métiers de bouche reconnus à Bologne depuis l’époque médiévale. Réunis en association et installés au cœur du marché urbain au xiiie siècle, les poissonniers bolonais, entre le Moyen Âge et la Renaissance, développent leur commerce grâce à un système de ravitaillement en poissons provenant des rivières de la région. Au vie siècle, en particulier, les documents d’archives révèlent une concentration remarquable, en ple...

Il n’y a pas de sot métier, affirme la sagesse populaire. Assertion sans doute plus vraie encore lorsqu’il s’agit de nourrir l’homme, de permettre aux aliments cultivés, produits, transportés, échangés, vendus, assemblés, transformés de parvenir jusqu’à ceux et celles qui vont s’en restaurer. Savoirs, savoir-faire, pratiques et imaginaires d’horizons divers interviennent et touchent à un nombre très diversifié d’activités humaines, depuis l’agriculture, jusqu’aux techniques de préparation, de...

La vida y hechos de Estebanillo González est le récit de la vie d’un bouffon soldat et cuisinier, « homme de bonne humeur » qui, né de parents galiciens et ayant grandi en Italie, en vient à parcourir l’Europe des Habsbourg dans la cadre de la guerre de Trente Ans (encadré 1). Dans la définition qu’il donne d’un des termes qui désignent le bouffon (chocarrero) le lexicographe Covarrubias indique : « con aquella vida tienen libertad y comen y beben y juegan ; y a veces medran más con los señor...

Dans une optique d’histoire des représentations, étudier le statut du cuisi-nier dans la France des deux derniers siècles de l’Ancien Régime revient à montrer comment son image s’articule par rapport, et très souvent contre, celle éminemment supérieure du maître d’hôtel. Hérité d’époques plus anciennes, un imaginaire négatif continue ainsi à être associé aux cuisinier(e) s dans les représentations des xviie et xviiie siècles ; si nous raisonnons en termes de domestiques commensaux, le cuisini...

Le texte supra est tiré des Problemas du médecin López de Villalobos (1543) (XXXII, « ¿Por qué la gente se ha dado/ al muy sobrado comer ? »). « Il s’agit d’être encore des hommes » : ainsi s’achève l’énumération des maux provoqués par la gloutonnerie, et se trouve là résumée l’une des préoccupations essentielles du contrôle diététique de l’alimentation à l’œuvre déjà au Moyen Âge ; la mise en ordre du manger et du boire devient l’objet principal de la médecine héritée des Anciens. Se constit...

Les rapports entre la société et les pratiques alimentaires sous l’Ancien Régime, tout comme la constellation de figures et d’événements associée à ces moments, ont été l’objet de nombre d’études sur l’Italie de la Renaissance, en particulier sur le réseau des cours italiennes du Nord, pour lesquelles nous disposons d’une multitude de documents provenant de domaines très différents. Abordé souvent à travers les représentations littéraires ou artistiques, ce sujet peut aussi être exploité de f...

Pour tenter de comprendre comment les hommes ont perdu leur liberté naturelle et sont entrés dans un état de servitude volontaire, Étienne de La Boétie, meilleur ami de Montaigne, affirme que la coutume est la première raison de cette soumission. Pour illustrer son propos, il évoque l’histoire des deux chiens de Lycurgue dont l’un fut habitué à chasser et l’autre « engraissé en la cuisine ». Mis dans un marché, avec entre eux une soupe et un lièvre, « l’un courut au plat, et l’autre au lièvre...

À partir de la fin du Moyen Âge, l’Espagne, comme ses voisins européens, accorde un statut renouvelé à ce personnage œuvrant en coulisse, associé au sang, au sale, aux entrailles malodorantes, jusqu’alors peu estimé socialement, voire peu recommandable : le cuisinier. Jusque dans les années 1570-1580, le pays se trouve dans une phase d’expansion et la hausse considérable des prix favorise dans un premier temps la création de richesses, le développement de l’agriculture comme de l’industrie. D...

L’Europe de la Renaissance est, à bien des égards, un chantier ouvert, un chantier dans lequel l’alimentation et ses métiers vont se forger une place, un statut, une image renouvelés. Les humanistes, tout d’abord, s’attèlent à un nouvel ordonnancement, à une nouvelle hiérarchisation du savoir. « Le but, c’est d’arriver à une connaissance aussi complète que possible de ce qu’il est utile à l’homme de savoir pour être pleinement homme » : le domaine de l’alimentation, de la cuisine, jusqu’alors...

L'alimentation suscite, à partir du XVIe siècle, tant en France qu'en Espagne ou en Italie, un intérêt renouvelé. Qui mange survit, certes, mais qui mange donne surtout à voir qui il est. La cuisine – consommée, préparée ou offerte – est un marqueur social et culturel, et il s'agit de l'appréhender et de l'insérer dans la nouvelle hiérarchie des savoirs qui se met alors en place. Cette cuisine renvoie aussi à toute une série de métiers, dont la vocation est de permettre aux aliments (cultivés, produits, transportés, échangés, vendus, assemblés, transformés) de parvenir jusqu'à ceux et celles qui vont s'en restaurer. Savoirs, savoir-faire, pratiques et imaginaires d'horizons divers interviennent et touchent à un nombre très diversifié d'activités humaines : depuis l'agriculture, jusqu'aux techniques de préparation, de présentation des mets en passant par la gestion urbaine des stocks alimentaires, leur écoulement, la régulation des prix des denrées, les procédés de conservation, l'utilisation médicale des aliments, etc. Les métiers de l'alimentation se complètent, se chevauchent, se mêlent, tous tendus vers un seul but : le repas, qui répond à un besoin élémentaire de l'être humain tout en s'imposant comme un rituel social fondateur.

Dans ses multiples modalités, l’histoire de l’alimentation prend appui sur un riche corpus d’images et une large diversité de formulations plastiques. Les références et les illustrations n’en induisent pas moins de complexes procédures de prise en compte, eu égard à la pluralité des formes, des objectifs et des usages que déterminent les figurations de la nourriture et la fascination exercée par les aliments « en représentation ». L’amplitude du champ de l’iconographie engage alors à appréhen...

Considérant une base navale au xviiie siècle, le rôle, la présence même de la gente féminine y sont a priori peu évidents. De rares travaux sont consacrés aux femmes dans les arsenaux de marine dans une perspective sociologique. En effet, l’arsenal est un espace peu féminisé et ce à deux titres. Il est, premièrement, une zone militaire sensible où la crainte de l’espionnage, du sabotage, de l’incendie, implique un contrôle des accès aux portes et une étanchéité, de principe, avec la populatio...

La première partie de l’enquête présente les fondements de la réflexion en cherchant à comprendre la place occupée par la prédication dans la tradition protestante, du xvie au xixe siècle. Une fois celle-ci posée comme un des pivots de la pratique religieuse, il convient dès lors de cerner quels sont les moyens dont disposent les pasteurs pour acquérir l’éloquence de chaire nécessaire à cette prise de parole publique si importante. Le propos développe aussi l’exposition des bases méthodologiq...

« Riche de son histoire et désireuse de modernité… » Les firmes bancaires du xxie siècle affectionnent les demeures prestigieuses d’Ancien Régime. Affaire de réputation, autant que de goût, elles se glissent dans les murs d’hôtels particuliers somptueux, restaurés à grands frais et véhiculent, par la même occasion, un certain nombre de représentations concernant l’univers matériel de l’entrepreneuriat français. Dans les faits, on ne sait pas grand-chose d’un objet qui a peu retenu l’attention...

Loin d’être un discours seulement religieux, le sermon permet aux orateurs protestants de délivrer un message sur la res publica, c’est-à-dire l’intérêt général, les fondements et principes de l’organisation de l’État, la souveraineté et enfin le bien public. C’est sous l’angle sociopolitique que les discours de chaire luthériens et réformés francophones (France et Églises du Refuge) sont ici appréhendés pour étudier en quoi et comment ils servent de support de diffusion d’une culture politique républicaine, du milieu du xviie siècle jusqu’à la décennie 1840-1850. Dès lors, cet essai examine la place de la prédication dans les protestantismes et cerne les moyens dont disposent les pasteurs pour acquérir l’éloquence nécessaire à cette prise de parole, dans la clandestinité du Désert comme dans la légitimité acquise avec la Révolution française. Il interroge également les principes républicains présents en chaire en s’intéressant à leurs fondements scripturaires, philosophiques et historiques. Enfin, il déploie une analyse des pratiques républicaines portées par les discours ou les actes des prédicateurs protestants. Fondée sur des sources jusqu’alors peu mobilisées par les historiens du protestantisme ou du politique, cette enquête développe une double dimension, religieuse et civique, et une réflexion située dans une séquence chronologique entre siècle des Lumières et premier xixe siècle, caractérisée par l’apparition de processus de politisation de masse auxquels participent luthériens et réformés.

Dans une perspective d’édification du fidèle, l’apprentissage de comportements bénéfiques au bien commun est essentiel comme le rappelle le pasteur, en 1763, Jacques Armand dans l’Église française de Hanau : « Qu’un Prédicateur n’oublie donc jamais que l’unique but de ses instructions doit être de faire aimer la vertu, & d’en persuader la pratique. […]. Qu’il s’attache à leur donner [à ses auditeurs] des idées distinctes de la religion, à réformer leurs désirs, à réprimer leurs passions, à re...

Pour les protestants, la parole de chaire demeure une pratique centrale de la vie religieuse collective. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne change rien à cette place prépondérante malgré les difficultés de prédication, liées à la clandestinité des activités religieuses huguenotes. Souvent en nombre insuffisant pour des Églises en pleine restauration à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, les pasteurs parcourent de nombreux kilomètres pour prêcher, délivrant une parole dans ...

« Quant au commerce, nous avons estimé qu’il est libre entre les subjects des amis et que la mer n’est fermée à personne qui va et trafique de bonne foy. » Catherine de Medicis. À lire Antoine de Montchrestien, l’économie se compose de trois dominantes : l’agriculture rurale, la manufacture urbaine qui peut être qualifiée aujourd’hui d’industrie de fabrication (ou de production), et le commerce pour l’achat et la vente des biens. Son Traité témoigne de la mutation sociale survenue dans le roy...

Les associations d’aide d’urgence connaissent en France, et plus largement dans toutes les démocraties libérales européennes, un essor et une vitalité sans précédent depuis une vingtaine d’années. L’épithète « humanitaire » communément réservée à celles qui intervenaient en dehors du territoire national, dans des pays victimes de famines, de guerres ou de catastrophes naturelles, sert maintenant à labelliser celles qui agissent en France à destination des plus démunis. Nourrir, vêtir, loger, ...

« On a trouvé aussi plusieurs papiers que l’on a mis dans un sac vu qu’ils nous ont paru inutiles ». Le capitaine du Condé conclut ainsi l’inventaire et la vente des effets de Gilles Pignot, « sieur de la Vigne », mort le 11 avril 1748, alors que le navire mouille dans la rade de Callao. Loin d’être anodins, ces « papiers » désignent un ensemble de dix lettres écrites par Marie-Jacquette Anquetil, l’épouse de Gilles, restée à Saint-Malo. Cette correspondance prend la forme d’un long monologue...

Le « Je-ne-sais-quoi » de Baltassar Gracian. Il est acquis que la signification sociale de l’objet renvoie aux compétences culturelles développées par les mobilités sociales et intéresse la construction de l’identité. Elle touche à l’expertise du sujet et prolonge l’étude des sociabilités, comme celle des formes de luxe. La culture matérielle constitue, sans doute, la dimension la plus subtile et la plus réversible de l’identité bourgeoise : à la fois la dernière produite et la première perçu...

« Vous m’expliquez, dit Mme Geoffrin, pourquoi j’ai toujours préféré l’instruction qui tombe en rosée, à celle qui vient par orage et qui se déborde en torrent. » Marmontel J.-F. de, Œuvres choisies de Marmontel. Contes moraux, Paris, Tilliard, 1824, p. 224. Plusieurs pistes de réflexion se dégagent de l’étude des facteurs de fluidité qui complète l’analyse structurelle des mobilités sociales d’Ancien Régime. Leur articulation remet en cause toute représentation linéaire d’une ascension socia...

« La politique n’est pas de cette chaire : c’est à ceux qui approchent du trône, à ceux qui sont préposés au maintien de la chose publique à traiter & à faire valoir ces grands objets. » Rabaut-Pomier. Ces paroles pastorales prononcées devant une assemblée clandestine de Montpellier au début des années 1780 cachent une réalité de la prédication protestante : loin d’être un discours exclusivement religieux, le sermon délivré lors du prêche est également l’occasion pour les ministres de la paro...

La relation entre les mobilités et les identités sociales n’a jamais été linéaire. Il n’existe guère de lien mécanique entre elles et leurs traductions matérielles, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une identité sociale collective dite bourgeoise. Tout cela recouvre des réalités par trop disparates. La réflexion se construit alors entre deux écueils bien nets : celui d’une caricature, appliquant schématiquement les mêmes représentations à l’ensemble d’un groupe social, forgeant ainsi des identité...

Classes mouvantes, classes inquiétantes, pourrait-on dire. Les mobilités sociales n’ont jamais été véritablement un objet historiographique, celles d’Ancien Régime en particulier, volontiers tenues pour inexistantes. Il est vrai que la société dite d’ordres a longtemps servi de contre-modèle, pour ne pas dire de repoussoir, consacrant, dans les sociétés démocratiques, des dynamiques parfois plus supposées que réelles. « La société d’ordres d’Ancien Régime ne connaît guère les mobilités sociales », « le capitalisme dynastique français souffre de la rigidité de ses structures », « le marchand du xviiie siècle n’aspire qu’à quitter son état par l’anoblissement de sa lignée », voilà quelques lieux communs mis à mal par le présent livre. L’approche retenue en fait la particularité : délaissant les catégories traditionnelles posées comme a priori, elle offre une matrice fluide du mode de production empirique des mobilités et des identités bourgeoises, par une analyse méticuleuse de ses univers matériels, de ses réseaux de propriétés et de sociabilités- De la Malmaison à la place Vendôme, du négoce normand à la création de la Banque de France, de la traite négrière à l’argent d’Espagne, le livre épouse la formidable ascension de la dynastie Le Couteulx sur sept générations. Il propose, en définitive, un tableau totalement inédit des mobilités sociales bourgeoises, entre 1600 et 1824.

Les représentations des femmes de marins en veuves ou mères meurtries et courageuses, emmurées dans la solitude, renvoient à des stéréotypes solidement ancrés dans la littérature et dont l’iconographie, voire la chanson, se font volontiers l’écho. Historiquement attestées, ces femmes victimes de la fatalité apparaissent dans une littérature d’édification, essentiellement destinée à la jeunesse. C’est le cas, parmi d’autres, de la figure de Mam Goz, héroïne de la nouvelle de Léon Berthaut qui,...

Le sermon se veut un texte pédagogique et performatif qui a pour but d’apprendre aux fidèles et de produire des effets dans le réel. Il est ainsi question, en chaire, de provoquer chez l’auditeur des comportements conformes aux principes de la res publica. Le troisième volet de cette enquête vise à exposer ce qui est espéré par le pasteur en chaire, du fidèle protestant en tant qu’acteur social et non plus simple croyant – même s’il reste difficile de les dissocier. Il s’agit donc d’analyser ...